Les sorcières en peinture



La sorcière et sa représentation picturale au fil des siècles :

Tout comme la sorcellerie, l’art a toujours occupé une place extrêmement importante au fil des siècles, puisqu’il contribue surtout à sauvegarder et à continuer de transmettre les précieuses histoires de nos ancêtres. C’est pour cette raison que dans cet article, nous allons vous présenter des œuvres qui mettent en avant la figure de la sorcière, afin de mieux mesurer les différents changements que celle-ci a pu subir au cours du temps.

Une figure crainte et respectée : Antiquité

A l’Antiquité, la plupart des épisodes mythologiques étaient peints sur des objets du quotidien. Ceux qui les possédaient étaient évidemment les plus riches, comme ce lécythe, (vase contenant du vin que les esclaves servaient à leurs maîtres à table) représentant la magicienne Circé.


Exposé au musée de Tarente (Tarente.Muséearchéologique)


Circé en train d’opérer, Grèce Antique, musée d’Athènes.


Ce lécythe, sans doute exécuté en Grèce, représente la magicienne Circé menacée par Ulysse (habillé en guerrier), car celle-ci veut l’obliger à boire une potion qui le rendra dépendant d’elle et qui fera qu’il restera plusieurs années captif sur son île. Derrière elle, est présent l’un des compagnons d’Ulysse qu’elle a métamorphosé en loup (puisque la métamorphose, selon Homère, est le domaine où elle excelle le plus). Musclée, sa victime qui est à la base un guerrier, connote la force et la brutalité, et le fait que la magicienne soit une figure puissante est encore plus appuyée par cet aspect. De plus, la magicienne (ou sorcière selon les dires) n’est pas encore représentée comme vielle et laide, mais très féminine, jeune, belle et sensuelle, notamment par ses habits qui la mettent en valeur, ce qui prouve que la femme a encore toute sa place à cette époque et qu’elle fascine plus qu’elle ne repousse.


Voici un second lécythe représentant Circé :

Circé préparant une potion,  Grèce Antique, musée d’Athènes.


Ici, Circé est représentée assise en train de préparer une potion, comme l’indique d’ailleurs le nom de ce lécythe, afin de métamorphoser ses prochaines victimes. En face d’elle, est représenté un homme-taureau, déjà victime du pouvoir de la sorcière. Une fois de plus, Circé est représentée belle et jeune, vêtue de beaux habits. Autre détail qui pourrait sembler peu important, mais qui au contraire, l’est : les feuilles peintes sur le dessus du lécythe représentent sans doute les ingrédients qu’elle utilisait dans ses potions.


Une image de répression et de peur : Moyen-Age


Evidemment, tout le monde connait le nom de Jeanne d’Arc. Cette jeune femme au destin exceptionnel, qui, à l’âge de treize ans, entend des « voix », qui seraient d’ailleurs celles de saint Michel, sainte Catherine, et sainte Marguerite. Celles-ci lui ordonnent de se rendre à la cour du roi afin de protéger le royaume de France de ses envahisseurs, les Anglais. Ainsi, elle est celle qui commanda l’armée du roi de France (Charles VII) lors de la période la plus sombre de la Guerre de cent ans. Malheureusement accusée de sorcellerie par ses ennemis, car il était absolument inconcevable qu’une femme aille combattre, elle meurt en 1431 sur le bûcher de Rouen (à cette époque, capitale de l’Angleterre).


Jeanne d’Arc sur le bûcher, miniature extraite des Vigiles de Charles VII, par Martial d’Auvergne, Bibliothèque nationale de France, Paris, 1484.


Sur cette miniature, Jeanne d’Arc a les mains liées derrière son dos, adossée à un poteau de bois, tandis qu’un soldat anglais (on le remarque à sa tenue verte ornée d’une croix rouge, symbole de saint Michel, et à son épée pendue à sa ceinture ainsi que son carquois posé sur le sol) pointe sa flèche sur elle. Tout un attroupement de nobles et de religieux l’entourent, tandis qu’un moine (que l’on aperçoit au second plan) tient un crucifix, symbole de la Rédemption. On peut clairement voir que l’on prépare Jeanne d’Arc à son supplice final, puisque, avant d’allumer les flammes du bûcher, le bourreau enfonçait une pointe métallique dans le dos de la sorcière afin de neutraliser complètement ses pouvoirs. Bien que sur cette représentation Jeanne d’Arc n’est pas « diabolisée » par son apparence, cette miniature résume parfaitement le début de l’ère des bûchers, ainsi que la répression et la nécessité de la création de l’Inquisition.


Deux visions totalement opposées, à cause du mouvement Humaniste et de la création de l’Inquisition : la Renaissance


Michel Ange, nous le savons, est évidemment l’un des plus grands artistes de tous les temps. Humaniste de la Renaissance, et à la base sculpteur, il représentera à travers ses œuvres autant de figures chrétiennes (comme par exemple, la Pietà, qui est son œuvre la plus aboutie) que de figures antiques, étant donné que la Renaissance aime reprendre ses sujets. Mais ce que la plupart ignorent, c’est que l’artiste en question possède un caractère très fort et arrive presque à chaque fois à faire changer d’avis son client sur le sujet que celui-ci souhaite qu’il traite. Car à la base, la Chapelle Sixtine devait tout simplement représenter les saints les plus importants de la bible, et non la Genèse elle-même, ainsi que le Jugement Dernier, peint environ 30 ans plus tard.

Celle-ci est représentée d’une manière assez particulière : au centre, sont représentées les scènes fondamentales de la Genèse (création du monde, création de l’homme et de la femme, Adam et Eve chassés du Paradis, etc…), tandis que sur le côté, sont présents des médaillons représentant des scènes de la vie de Jésus, dans des triangles, les différents saints, et dans un espace entre toutes ces représentations, les figures de différents Prophètes et Sibylles antiques. Nous pouvons donc citer les plus emblématiques : la sibylle de Delphes, la sibylle de Cumes, la sibylle d’Erythrée, et la sibylle de Lybie. Evidemment, il les a toutes représentées différemment, mais voyons si Michel Ange les a peintes en accord avec l’idéologie de son temps.


La sibylle de Delphes


La Sybille de Cumes


La Sibylle d’Erythrée


La Sibylle de Lybie

 
Comparons ces représentations :



Bien que leurs positions diffèrent les unes des autres, toutes les sibylles sont représentées en train de lire des livres (ou un rouleau pour la sibylle de Delphes). (Evidemment, puisque l’étymologie du terme de « sorcellerie » remonte à l’Antiquité, et provient du latin sortifer, « qui rend les oracles », et sortilegus « prophétique, fatidique », ou « Devin », c’est-à-dire, « celui qui prédit par les sentences ou par des vers pris au hasard dans un livre », comme nous l’avons déjà dit dans l'introduction sur l’histoire de la sorcellerie.)

Ensuite, chacune d’entre elles est représentée jeune et belle, tandis que chaque muscle, chaque petit détail ajoute de la sensualité, ainsi que leur position en elle-même. (Même si cela est caractéristique de Michel Ange.) 
(Sauf la sibylle de Cumes, qui elle, est représentée vieille et forte, mais suscite autant de respect que les autres.)
Enfin, rien, dans leur représentation, ne suscite la peur, ou même la répulsion, Michel Ange n’étant absolument pas croyant en ces superstitions populaires. Il les a donc représentées de la manière la plus réaliste qui soit (par leurs habits antiques, et leur expression non diabolique). Ainsi, la sorcière n’est pas vraiment perçue comme « repoussante » dans cette œuvre.


Hans Baldung Grien, Le Sabbat des sorcières, gravure sur bois, 1510.


Malheureusement, tout le monde ne pensait pas de la même manière que Michel Ange à cette époque. Sur cette gravure intitulée : Le Sabbat des Sorcières, réalisée en 1510, son auteur, Hans Baldung Grien, représente de manière beaucoup plus réaliste l’état d’esprit qui règne partout dans l’Europe à cette époque, même si l’Humanisme est à son apogée. Car, ici, la femme est totalement diabolisée par son aspect repoussant et monstrueux.

Cinq sorcières sont représentées : Trois d’entre elles sont au premier plan, et les deux autres au second plan, mais pas pour autant moins importantes que les autres. Le cadre qui les entoure est une forêt, elle aussi inquiétante par l’aspect difforme des troncs d’arbre, et représente sans doute le fait que celles-ci sont proches de la nature. Nues, leurs corps visibles sont sensuels, sauf pour la sorcière qui lève une assiette de nourriture en offrande vers le ciel, au centre de la gravure, puisque ses seins pendent. Tous leurs visages sont semblables : allongés, empreints d’une expression perfide, animale, et pleine de folie, ils font froid dans le dos. On peut remarquer aussi, toujours au premier plan, que des vêtements et des ossements humains sont présents. Selon les superstitions populaires, les sorcières se nourrissent, une fois la nuit tombée, d’enfants humains, mais aussi d’adultes, selon leurs envies du moment. Leur attribut principal est aussi présent : le chaudron, précieux récipient indispensable pour préparer des potions infernales, tandis que l’une des sorcières est en train de voler sur un bouc, sans doute Baphomet, qui est pourtant une figure diabolique beaucoup plus représentée dans le mouvement du Romantisme Noir, au XVIIIème siècle, dont nous allons tout de suite vous parler.


Le Romantisme Noir, un courant artistique majeur dans la représentation de la sorcière


Le Romantisme noir s’épanouit surtout à la fin XVIIIème siècle et durant la première moitié du XIXème siècle, entre 1770 et 1850. Il réapparaîtra ensuite à l’époque symboliste dans une période d’affranchissement et de mutation pour le mouvement entre 1860 et 1900, et fera de nouveau surface dans l’art surréaliste entre 1920 et 1940.

Celui-ci a pour principal but de laisser le spectateur entrer de manière intuitive dans le mouvement, en interpellant ses sens et son imagination. Les illustrations présentées mettent en scène des thèmes et motifs comme les bâtisses gothiques, les paysages apocalyptiques, et les scènes transgressives. La Grande-Bretagne est la terre natale des romans noirs, et c’est aussi un pays où le système artistique est le plus libéral à cette époque. Les artistes le plus souvent autodidactes attirent l’attention du public parce qu’ils traitent de sujets peu vus, délaissés, avec notamment la figure de Satan, ainsi que des superstitions populaire comme les sorcières.

Füssli, Pandemonium, huile sur toile, musée du Louvres, Paris, 1781.


Dans le fantastique Pandemonium de John Martin, nous faisons face à un tableau impressionnant. Il s’agit de la capitale de Satan, Martin illustre des vers issus du Paradis perdu de Milton, où Satan convoque ses armées à partir à l’assaut du paradis. Le cadrage se perd volontairement à l’infini, et la lumière enflammée au premier plan dramatise la scène. Les armées maléfiques portent des armures antiques et n’ont rien de difforme ou de repoussant. On est donc dans la démesure et dans la suscitation d’un vertige devant un spectacle grandiose.

Les artistes mettent aussi en scène l’abdication de la raison en mêlant le burlesque au tragique et notamment comment l’individu poussé par le malheur perd le contrôle de lui-même. Füssli dépeint ainsi la folie, dans le tableau La folie de Kate, ou le thème du cauchemar.



Füssli, Le Cauchemar, huile sur toile, Institute of Arts, Détroit, 1782.


Dans son tableau Le cauchemar, de 1782, Füssli signe une œuvre fondatrice du romantisme, et notamment pour la figuration des puissances maléfiques. Il mêle à une scène réelle, d’une jeune femme assoupie, des éléments fantastiques (notamment le cheval à l’arrière-plan qui surgit du rideau de velours rouge). On lit aussi des détails érotiques, dans le fait que le tissu immaculé, souligne autant les courbes du corps féminin, qui lui-même dépeint ainsi fait écho au thème des jeunes femmes violentées présent dans la littérature britannique. Le démon assis qui la veille est un incube, ces démons prenant corps pour abuser des jeunes femmes durant leur sommeil. Le cheval, lui représente les pulsions animales.

Ces scènes se font l’écho des romans noirs et sadiens (qui provient notamment du Marquis de Sade, et relatif au « sadisme », étant donné les nombreuses représentations de violences perverses dans ses œuvres) qui sont visiblement connus, et certainement lus sous le manteau. La jeune et belle prisonnière représente la Vertu, la nature et la morale, défendue par les Lumières qui est profanée avec un malin plaisir.
Ici, les événements historiques et notamment la Révolution française, la Terreur et les guerres, ont raison du règne des Lumières. Le nouveau monde se perd dans une indistinction entre les croyances passées et l’idéologie révolutionnaire, alors que les frontières entre le Bien et le Mal se dissolvent.
Füssli peint aussi en 1782 le tableau Les 3 sorcières qui illustre le Macbeth de Shakespeare. Celles-ci renvoient directement l’image de la soif de pouvoir de Macbeth, le doigt pointé met en garde et annonce les terribles événements qui attendent le héros.


Füssli, Les 3 sorcières, huile sur toile, 1782.


Ici, trois sorcières sont alignées, plus ou moins présentent dans la lumière, et pointent leur doigt vers le personnage principal de Shakespeare (Macbeth), bien que lui-même ne soit pas présent sur le tableau. Leur visage est semblable : chacune possède un nez crochu (caractéristique chez la sorcière de cette époque) tandis que leurs rides apparentes, ainsi que leurs traits masculins les enlaidissent et les « déféminisent ». Leur regard semble se perdre au loin, et le vent des landes soulève les manches de leurs « tuniques » de couleur fade. Un frelon est aussi présent au-dessus de leur doigt tendu, mais plongé dans l’ombre puisque celui-ci symbolise sans doute le malheur et la douleur (par son dard, raison pour laquelle celui-ci sort de la lumière) dont sera bientôt atteint le personnage. L’atmosphère inquiétante et mêlée de mystique est notamment renforcée par la couleur sombre dominant dans le fond (un mélange de bleu et de gris très foncé).


Goya, Le Sabbat des Sorcières, huile sur toile, 1798.


Goya lui aussi se complaît à aborder le thème des superstitions populaires, avec son tableau Le sabbat des sorcières, de 1798.

Au centre est représenté Baphomet, un personnage énigmatique à tête de bouc auquel on fait plusieurs occurrences dans l’histoire de l’occultisme. Celui-ci est au centre des attentions puisque des sorcières assises en rond (à même le sol afin de représenter le caractère « inférieur » de la femme, comme nous l’avons vu dans l’histoire de la sorcellerie) qui, autour de lui, procèdent à des rites traditionnels consistant à donner en offrande des enfants au dieu cornu afin de pouvoir accomplir de sombres desseins. On remarque la présence d’un cadavre d’enfant étendu sur la gauche du tableau, tandis que l’une des sorcières tend un second enfant (qui parait en mauvaise santé par son aspect rachitique) à Baphomet. D’autres corps d’enfants sont présents en fond, mais embrochés sur un bâton. Les sorcières ont toutes des visages vieux et laids, comme dans l’œuvre de Füssli. Sur le côté gauche, en haut du tableau, est représenté un croissant de lune, symbole de la déesse païenne Hécate, mais aussi parce que les rituels de ce genre se déroulent toujours à la nuit tombée. Le personnage central renvoi surtout aux rituels de magie, à la sorcellerie, au satanisme, et à l’ésotérique (mysticisme). Etant donné que Baphomet provient des légendes juives et musulmanes, on l’associe souvent à la Kabbale. Il est aussi l’équivalent de Pan, et représente les instincts charnels et procréatifs de l’homme, raison pour laquelle il est représenté sous la forme d’un bouc, tandis qu’il est considéré comme étant une déité phallique. C’est aussi pour cette raison qu’il est désormais associé au diable, car l’arrivée du christianisme va le « diaboliser » à cause de son attribut qui représente l’un des sept péchés capitaux. La figure de Baphomet est aujourd’hui utilisée comme symbole au mouvement satanique.


Goya, Le vol des Sorcières, huile sur toile, 1798.


La même année, Goya peint un autre tableau qui a le même thème que l’œuvre précédente. Il est intitulé : Le vol des sorcières.

Au premier plan de cette œuvre, des sorcières lévitent en cercle au-dessus d’un homme recouvert d’un drap blanc. Celles-ci ont une expression de folie, et n’ont absolument plus rien de féminin étant donné que leurs traits sont essentiellement masculins : leur dos est large, leurs cheveux sont courts, et elles ne possèdent même pas de seins, comme nous pouvons le voir avec celle qui se fait porter par les autres. Elles sont vêtues de culottes colorées et de chapeaux pointus assortis. Selon les croyances populaires, elles sont en train d’aspirer l’énergie vitale et la force virile de leur victime masculine recouverte d’un drap blanc et l’air affolée, il symbolise le peuple empêtré dans ses croyances superstitieuses. L’autre homme, lui, se cache le visage, refusant d’assister à cette scène infernale, ridiculisée par Goya. L’âne présent au fond connote la bêtise humaine.

Autre sujet beaucoup plus traditionnel : la figure de Circé. John Waterhouse, lui aussi romantique noir, aime représenter les figures de la sorcellerie (ou magie) antique, et gomme totalement l’aspect superstitieux et ridicule que donne Goya à son Vol des sorcières.


John Waterhouse, Circé offrant une coupe de vin à Ulysse, huile sur toile, 1891.

Séduisante, Circé l’est sans aucun doute. D’ailleurs, John Waterhouse nous le montre par la robe fluide que la sienne porte, laissant apparaître ses courbes féminines et sensuelles. Son visage est juvénile, tandis que sa position reflète une certaine domination, notamment par son regard, et aussi par sa tête quelque peu renversée. Dans l’une de ses mains, elle tient une coupe de vin qu’elle offre à Ulysse qui s’avance d’un air méfiant, que l’on peut apercevoir grâce au miroir circulaire derrière elle, et aussi grâce auquel on peut remarquer son bateau affrété sur son île mystérieuse, et que l’entrée de son palais est encadré par de hautes colonnes de marbre, symbole même de l’Antiquité.

Dans son autre main, elle tient ce qu’il semble être une baguette magique. L’aspect « majestueux » de cette magicienne (ou sorcière) et aussi appuyé par la place que celle-ci prend dans cette toile, nous donnant l’impression que sa taille est immense, tandis qu’elle est assise sur un volumineux trône de bois sculpté avec des lions, symbole de puissance et d’autorité, et qui renvoient surement aux félins qui vivent autour de sa demeure, autrefois des hommes qui auraient affrétés leur bateau sur son ile. Sur la gauche de celui-ci, repose un sanglier qui nous renvoi à l’épisode de la métamorphose de compagnons d’Ulysse à qui elle redonnera l’apparence après un an de détention.
A ses pieds, reposent d’innombrables fleurs, nous renvoyant peut-être au fait que la magicienne est très attachée à la nature, alors que, devant, est aussi représenté un trépied avec une sorte de « récipient » dans lequel infuse une potion qui retiendra longtemps Ulysse à ses côtés.


Et aujourd'hui ?

De notre temps, aucun courant artistique ne s’impose réellement, la peinture et l’art s’étant généralisé et étant devenu accessible à tout le monde. De plus, la sorcière n’est plus vraiment un sujet assez « intéressant » aux yeux des nouveaux artistes. C’est la raison pour laquelle nous vous invitons à lire notre article suivant consacré au cinéma, autre art où la sorcière a su prendre une véritable ampleur.

Les sorcières en littérature


Littérature

La figure de la sorcière, éternellement changeante et pleine de surprises, a notamment été influencée par de nombreuses œuvres littéraires au cours des siècles. En voici quelques exemples : 


L’Iliade et l’Odyssée 
Homère, couverture de l’Iliade et l’Odyssée, écrit, ou plutôt récité par l’auteur entre 800 et 750 av. J-C., édition Robert Lafont (bien que cette œuvre soit aussi publiée dans d’autres éditions), 2008.


L’Iliade et l’Odyssée, tous deux issus du poète grec Homère, sont évidemment considérés comme étant des chefs-d’œuvre de la littérature antique. Ces poèmes content l’épopée d’exploits surhumains réalisés par des héros grecs. L’Iliade raconte la guerre de Troie, ou le troyen Paris est justement choisi pour arbitrer un concours entre Athéna (déesse de la stratégie et de la sagesse), Aphrodite (déesse de l’amour), et Héra, l’épouse de Zeus. Celui-ci doit choisir qui de ces trois déesses est la plus belle, chacune lui promettant une récompense en échange de son bon jugement. Aphrodite, qui lui propose de lui offrir la plus belle femme du monde, sera choisie et Pâris tombera amoureux du la fille du roi Ménélas : Hélène. Pâris, véritablement transit amoureux, enlèvera la belle Hélène et déclenchera par la suite la guerre de Troie. S’ensuit donc un conte on l’on rencontre de grands personnages, tel que : Achille, le redoutable combattant surnommé « Achille aux pieds rapides », ou encore Agamemnon, qui commande alors l’armée achéenne durant ce conflit contre les troyens. 

Quant à l’Odyssée, ce nom provient surement du personnage principal Ulysse, puisqu’en grec, Ulysse est traduit « Odysseus » en latin.  Cette histoire, composée en trois parties différentes : « la Télémachie », « les aventures d’Ulysse », et « la vengeance d’Ulysse », et retrace l’histoire de son héros qui traverse de nombreuses épreuves afin de pouvoir rentrer chez lui, sur l’île d’Ithaque où il est roi et où le pouvoir menace de lui être pris par des adversaires. Dans cet épisode, on croise aussi de nombreux personnages devenus mythiques et de grandes références au niveau littéraire, avec par exemple, la magicienne (ou « sorcière »), Circé, qui métamorphosera ses compagnons en sangliers et le retiendra à ses côtés un certain temps sur son île mystérieuse. 

  Les métamorphoses 
Ovide, Les Métamorphoses, écrit à l’époque de l’Empereur Auguste (car aucune date précise) couverture édition Gallimard (Jean-Pierre Néraudau), 2011.


Dans cette œuvre signée Ovide, un autre poète antique, l’auteur retrace toute l’histoire du monde gréco-romain depuis sa naissance même. Dans ce long poème, est notamment exprimée de manière assez imagée, la force démoniaque des passions. On y croise également des personnages retentissant de mystères : Circé, alors dédaignée par le dieu marin Glaucus, qui lui préfère Scylla, se venge de sa rivale (qui est une nymphe) en la métamorphosant en monstre marin. Pour accomplir ce sombre dessein, elle profère des incantations contre elle, et utilise des herbes magiques. De même, sous le coup de la colère et de la jalousie, elle transforme le beau roi d'Ausonie, Picus, en pivert malgré l’intervention de ses compagnons, lorsque celui refuse ses avances. On y rencontre également le sort d’Io, aimée de Zeus, qui sera métamorphosée en génisse par Héra, et sera condamnée à errer sous cette forme dans le monde, mais on lit aussi les exploits de Médée, qui métamorphose Pélias, un pauvre vieillard égorgé, en bélier, qui deviendra à son tour un agneau nouveau-né. 

Ainsi, Les Métamorphoses d’Ovide nous décrivent en grande partie les pratiques magiques opérées et imaginées à cette époque-là, ce qui influencera par la suite, certains événements importants et la place de la sorcière dans l’Histoire. 

Les ouvrages, poèmes de l’Antiquité, content souvent les aventures des dieux païens et de héros épiques mythiques qui affrontent certains phénomènes magiques, tandis qu’au Moyen-Age, ce principe est quelque peu reprit mais « christianisé ». 

La Légende du roi Arthur 
Couverture de La légende du roi Arthur (et ses chevaliers de la table ronde), Jacques Boulenger, édition Grande Bibliothèque Arthurienne, 2006.


Connue de tous, la légende du roi Arthur est issue de l’une des œuvres de la légende arthurienne, caractérisée par deux sous genre : merveilleux-païen (notamment à cause de la figure de la sorcière Morgane) et merveilleux-chrétien (à cause de la conquête du précieux Graal, coupe qui recueilli le sang du Christ sur sa croix lorsqu’il reçut une flèche dans le flanc). Par ailleurs, Morgane, la demi-sœur d’Arthur, est dans les premiers ouvrages du cycle arthurien, un personnage perçut de manière positive puisqu’elle sert à leur cour, son frère et sa belle-sœur avec sa magie. Mais c’est à partir du Lancelot du Graal que Morgane troque peu à peu son image de sorcière-fée entre guillemets « acceptable », contre une image plus maléfique, étant donné qu’elle met tout en œuvre pour anéantir Arthur et ses chevaliers. 

Représentée comme une sorcière « traditionnelle », elle prépare des potions à l’aide de plantes magiques, et lance évidemment des maléfices. Celle-ci est le témoin même du changement de vision au niveau religieux et de la situation de la femme dans la société médiévale. 

Raiponce 
  Raiponce, de Johnny Gruelle, illustration parue dans le premier volume de Contes de l’enfance et du foyer publié en 1812. 


Raiponce est un conte allemand écrit par les frères Grimm et parut dans le premier conte de Contes de l’enfance et du foyer publié en 1812. 

Ce conte raconte l’histoire d’un couple qui attend la venue d’un enfant, mais la femme, qui voit des salades dans le jardin de leur voisine, une méchante et cruelle sorcière, est aussitôt ensorcelée par les maléfices qui les entourent et exige immédiatement que son mari en lui apporte une pour pouvoir la manger. Celui-ci est donc contraint d’aller voler une salade à l’insu de la sorcière. Mais après l’avoir mangée, le désir de sa femme augmente, et lui demande à aller en rechercher. L’homme, une seconde fois contraint de voler, est cette fois-ci surpris sur le fait. La sorcière, malveillante, accepte de lui donner autant de salades que sa femme en souhaitera à l’avenir, uniquement si le couple accepte de lui donner l’enfant qui s’apprête à naître. L’homme, apeuré par le souvenir de sa femme malade, rongée par le désir de manger de la salade, sera obligé d’accepter cette proposition contre son gré.  

Ainsi, durant 9 mois entiers, la sorcière procura en grande quantité de la salade ensorcelée au couple. Lorsque l’enfant vint au monde, celle-ci l’enleva à ses parents et l’éleva. C’était une petite fille, et elle la surnomma : Raiponce (comme la salade), en souvenir de sa pauvre mère.  Lorsque Raiponce atteignit ses douze ans, la sorcière l’enferma dans une haute tour sans porte ni escalier. Chaque fois que la sorcière souhaite lui rendre visite, celle-ci lui demande de lui jeter sa longue chevelure tressée par la fenêtre, afin qu’elle puisse grimper. 

Mais un jour, alors que le fils du roi passait par là, il entendit Raiponce qui chantait par la fenêtre de sa tour, et tomba presque immédiatement amoureux d’elle. Quelques instants plus tard, il surprit la sorcière qui rendait visite à la jeune fille, et vit qu’il fallait que celle-ci lance sa chevelure pour pouvoir grimper. 

Une nuit, caché entre les ronces qui entouraient la tour qui retenait la jeune fille prisonnière, il imita la voix de la sorcière et demanda à Raiponce de lui jeter sa chevelure. Il grimpa, et se retrouva en face de Raiponce, totalement affolée en voyant que cela n’était pas sa mère adoptive, et surtout parce qu’elle n’avait jamais d’hommes. Tentant de la calmer, le prince lui promet de prendre soin d’elle et de l’aimer pour toujours. Mais Raiponce, sous le charme et amoureuse, le prévient du danger que représente la sorcière si elle le voit en sa compagnie. Chaque soir, dans le plus grand secret, Raiponce et le prince se donnent rendez-vous après que la sorcière soit partie.

Malheureusement, la jeune fille tomba enceinte et parla accidentellement des visites fréquentes du prince à la sorcière. Folle de rage, elle décida de couper les cheveux de Raiponce et de les nouer à la rambarde de la fenêtre de la tour afin de piéger le prince. Lorsque celui-ci commença à monter, la sorcière trancha la tresse, et le fils du roi tomba dans un buisson de roses qui lui crevèrent les yeux. Par la suite, il passa des années à errer dans la forêt sans parvenir à retrouver son chemin ni à retrouver sa bien-aimée. Raiponce, elle, fut laissée à l’abandon par la sorcière, et accoucha seule et dans la plus grande souffrance de jumeaux. 

Mais alors que Raiponce pleurait son désarroi, le prince l’entendit et la rejoignit. Ainsi, les larmes de la jeune femme eurent le merveilleux pouvoir de rendre la vue à son bien-aimé, et celui-ci put enfin rentrer chez lui en compagnie de Raiponce et de ses enfants. Nous pouvons rajouter qu’ils vécurent heureux ensemble toute leur vie. 

Dans ce conte, l’image de la femme est assez terne : la véritable mère de Raiponce, curieuse, va regarder le jardin de la vieille sorcière et y verra les salades ensorcelées qu’elle y cultive. L’homme, lui, est présenté en éternelle victime, qui est soumis par la femme, avec notamment, le mari qui est obligé de voler des salades pour sa femme bien-aimée ; et contraint de donner son enfant pour la sauver. La figure du prince est aussi malmenée par le fait que celui-ci devient aveugle à cause de Raiponce. La sorcière, elle, fait preuve d’une cruauté à toute épreuve puisqu’elle condamne sa fille adoptive à une éternelle solitude et à un grand malheur, et condamne le prince à un sort semblable.

Hansel et Gretel
Hansel et Gretel, Arthur Rackham, 1909. 

  
Un autre célèbre conte allemand, intitulé Hansel et Gretel, lui aussi écrit par les frères Grimm et parut dans le premier volume des Contes de l’enfance et du foyer, raconte l’histoire d’une pauvre famille allemande qui subit une famine qui a lieu à cette époque dans tout le pays. Par deux fois, les parents d’Hansel et Gretel vont essayer de les abandonner à leur sort dans la forêt qui se trouve non loin de leur maison. Mais sur leur chemin, alors qu’ils pensent pouvoir rentrer chez eux grâce aux miettes de pain qu’a semé Hansel sur le sentier de la forêt, ils croisent une maison faite de pain et de sucreries. Affamés, ils se précipitent sur elle et commence à la manger. Mais aussitôt, la sorcière qui y habite les prend sur le fait et les appâtent pour ensuite les garder en captivité et les manger (car elle est cannibale). Alors qu’elle ordonne à Gretel de préparer le four dans lequel elle va faire rôtir les deux enfants, la petite fille pousse l’horrible créature dans celui-ci lorsqu’elle se penche pour lui expliquer comment faire pour rentrer dedans. La sorcière une fois morte dans d’affreuses souffrances, elle se dépêche de délivrer son frère enfermé dans une étable, qui, tous les jours, recevait la visite quotidienne de la sorcière qui vérifiait si son doigt avait grossi, pour savoir quand celle-ci allait pouvoir enfin le manger. Avant de sortir de la maison, les enfants trouvent un coffre rempli de perles et de diamants, et les rapportent chez eux, à leur père qui espérait toujours leur retour, puisqu’il avait été contraint par sa femme de les abandonner (et qui est morte entre-temps). 

Ici aussi, on peut remarquer l’aspect très négatif de la femme : la mère des enfants et mauvaise, méchante, car elle préfère les abandonner dans la forêt plutôt que de les garder à ses côtés, bien qu’elle sache que cela ne résoudra jamais le problème de la famine qu’ils sont en train de subir. La sorcière, est elle aussi est présentée comme un personnage cruel et inhumain, puisqu’elle maltraite et souhaite manger les enfants. Enfin, si cela ne vous a pas paru évident, Gretel est sans cesse présentée comme un personnage inférieur à celui de son frère, puisqu’elle sert de bonne à la sorcière, alors qu’Hansel est tranquillement en train de se faire engraisser par celle-ci. 


On distingue deux types de sorcellerie, au XIème siècle, après des accusations de la part de l'Eglise : la sorcellerie pratiquée dans les campagnes avec les filtres, héritée de l'Antiquité, puis la sorcellerie diabolique incluant les démons, le sabbat..

Nous faisons la distinction entre deux types de sorcières : la sorcière diabolique, soit vieille et ridée, soit jeune et séductrice, dont l'interprétation est répandue entre 1400 et 1500. Or, au XIXème siècle à l'époque Romantique, la sorcière devient un personnage bon.

La Sorcière

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La sorcière, Essai de Jules Michelet, publié en 1862, éditions Flammarion


Nous pouvons citer Jules Michelet qui est le premier a avoir réhabilité la sorcière en 1862, avec son essai nommé tout simplement La Sorcière. Notons que dans ses précédents ouvrages, il définissait la sorcellerie comme "la reprise de l'orgie païenne pat le peuple". Son essai est donc la première oeuvre dans lequel il définit l'image de la sorcière comme valorisée. Michelet va jusqu'à montrer, dans les messes noires célébrées en l'honneur de Satan, un rapport à la contribution de l'éveil des sciences et de la philosophie. (Bien sûr, ce ne sont que ses réflexions, rien n'est prouvé)
Dans La Sorcière, le personnage choisit de vivre en marge de la société et donc de l'église. Ce personnage apparaît comme novateur, féministe et révoltée par son destin social.

Les contes de la rue Broca
Les contes de la rue Broca de Pierre Gripari, éditions de la Table Ronde


De nombreuses œuvres ont la sorcière pour héroïne. Citons par exemple deux contes publiés en 1997, extrait des Contes de la rue Broca de Pierre Gripari, intitulés La Sorcière de la rue Mouffetard et La Sorcière du placard à balais. 
Dans ces œuvres, la sorcière est vieille et laide. Dans le premier conte, elle a une apparence de grenouille et donc repoussante, et elle est associée à une ogresse puisqu'elle souhaite manger la jeune fille.
Dans le second, la sorcière vit enfermée dans le placard et elle apparaît donc comme vivant hors de la société.
La sorcière a ici le pouvoir de se transformer, et meurt le crâne fracassé, ou enfermée dans un bocal.

Harry Potter
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Harry Potter et les Reliques de la Mort, J.K. Rowling, éditions Gallimard


Nous pouvons également citer la célèbre saga Harry Potter, dont les romans ont été publiés entre 1997 et 2007, par J.K. Rowling.
Dans cette saga, nous avons une vision plus moderne de la sorcière et de la sorcellerie en général. On oscille entre un univers "moldu" qui correspond à notre monde, et le monde sorcier. L'image de la sorcière repoussante, ou séductrice disparaît, les héros étant des adolescents normaux, ayant simplement des pouvoirs en plus.
Les notions de bien et de mal sont cependant toujours opposées, puisque le camp des Mangemorts, mené par Lord Voldemort, apparaît avec la ferme intention de détruire ses ennemis, utilisant divers moyens toujours plus violents. La mauvaise sorcellerie s'opère par de nombreux sortilèges, potions, et moyens de torture dangereux et mortels.
Ici, la sorcière n'est donc plus un personnage unique, elle se trouve mêlée à des individus masculins, créant un concept et donnant une vision beaucoup plus moderne.



Et maintenant ?


Les temps modernes (XXème-XXIème siècle)

Face à la mondialisation et aux découvertes scientifiques de plus en plus nombreuses et importantes, notre société « s’adoucit » peu à peu en terme de condamnation envers la sorcellerie. Car aujourd’hui, plus personne n’y croit vraiment, du moins en Europe, et surtout en France (car aux Etats-Unis la population, dont les Mormons qui vivent comme au XVIIIème siècle, y croient encore, notamment parce que la religion chrétienne a plus d’influence qu’ici), étant donné que notre pays est assez transparent au niveau de la religion. Cependant, la nature humaine nous pousse à être superstitieux face à des éléments incompréhensibles, ou face à une peur profonde et cachée au fond de notre inconscient, comme le dit le grand psychanalyste Sigmund Freud.  

On en avait donc fini avec les procès de sorcellerie mais, si Satan, sorciers et sorcières n’occupent plus le devant de la scène, ils restent plus que jamais présents dans la littérature du XIXème siècle, que nous lisons encore de nos jours. Au-delà de leurs prétendus pouvoirs, sur lesquels on ne pensait plus à s’interroger, ils renvoyaient à l’homme et se faisaient le reflet de ses faiblesses, de ses peurs, de ses angoisses, comme de ses désirs les plus insensés. Satan continu toujours de marquer l’homme de sa griffe, et restait en l’homme cette part de lui-même inquiète et déchirée. La figure de Satan, tout comme celle des sorcières, ne cesse d’évoluer, et perd un peu de son sens aujourd’hui, surtout parmi les nouveau moyens de divertissement qui nous font en sorte de nous perdre dans la réalité, tels que : les films, les jeux-vidéos, les séries TV, les livres d’un nouveau genre (fantasy et merveilleux), et certaines influences musicales dites « satanistes » (dont le hard rock et le métal, etc), tandis que la plupart d’entre eux s’inspirent d’origines « païennes » et « mystiques ». 

Les nostalgiques du diable ont en tout cas réussi à lui faire subir une ultime métamorphose, puisqu’il est désormais commercialisé partout, comme nous venons de le voir, puisqu’il s’agit de satisfaire une toute nouvelle clientèle : celle des jeunes, attirés par l’interdiction et la déchéance. 

L’Eglise elle-même, après avoir accordé une grande importance à l’image de Satan pour effrayer et attirer les masses vers elle, semble aujourd’hui s’inquiéter d’avantage de la santé mentale de ses fidèles lorsque ceux-ci annoncent qu’ils sont « possédés par le diable » ou adeptes de la sorcellerie. Ainsi, on les renvoie souvent au psychiatre, car les exorcistes sont en voie de disparition à cause du fait que plus personne ne croit à ce genre de phénomènes. En outre, des sectes sataniques sont en pleine expansion dans le monde entier, toujours en rapport avec cette société de surconsommation où règne en réalité, le culte de l’argent, et tout d’abord, de l’intérêt personnel généré par un individualisme croissant. 

Dans les sectes les plus connues, on fait payer leurs adeptes pour réaliser de faux rites en l’honneur de dieux païens, égyptiens, grecques, mésopotamiens, etc… tandis que ceux-ci mettent en avant la sorcellerie et ses « anciennes » pratiques (orgies, perversité, sacrifices…), afin de donner un caractère plus concret à ces rites. Pour les personnes un peu moins soi-disant « illuminées » sur ce sujet, la sorcière est uniquement une figure laide et méchante, ayant pour unique but d’effrayer et de menacer les enfants « pas sages », ce qui lui confère une image assez ridicule et purement imaginative.

Le temps des bûchers

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Cette période sera courte par rapport aux précédentes, mais elle méritait un article à lui seul, de par son importance.


Le temps des grands bûchers 
(XVIème et XVIIème siècles)

Un désir de réforme, controversé par le désir de moralité

Le Moyen Age a donné toutes les bases, sans exception, pour la chasse aux sorcières. Il a usé du climat de suspicion portant sur celui qui est différent, étranger. Les XVIème et XVIIème siècles ne feront pas mieux et l’on trouvera aisément des comportements similaires. 

A cette période, on en a toujours pas fini avec l’hérésie, ni avec les crises, et la naissance de protestantisme, et on a aussi jeté l’opprobre sur la femme. Ce sont dans les Temps modernes que celle-ci va enfin pouvoir se détacher peu à peu de l’homme, même si elle restera sans doute « mineur » par rapport à lui. 

A la fin du Moyen Age, les bûchers sont prêts. Car oui, cela marque l’étape la plus terrible de l’histoire de la sorcellerie. 

La démonologie (science associée à l’étude du diable), associe souvent la sorcière au monde de l’enfer. Bénéficiant d’un discours qui se veut organisé, méthodique, construit, les Inquisiteurs ne laisse plus rien au hasard. D’ailleurs, qui pourrait douter de « l’évidence des faits » ? Quoi qu’il en soit, les tribunaux chargés de juger les sorciers et sorcières (laïques ou pas) n’échappent pas à la manipulation religieuse et au mal-être de ces temps. Et si l’on ne condamne plus pour l’hérésie, mais pour la sorcellerie, l’accusation n’en continue pas moins à servir de prétexte. On en est même tellement convaincu que c’est bien le seul point sur lequel catholiques et protestants sont d’accord, tandis qu’une véritable épidémie de possession gagne les couvents et mobilise les foules, tandis que Satan nargue les exorcistes. De pauvres détraquées qui se croient « possédées » se mettent à leur tour à alimenter les bûchers en y poussant ceux sur lesquels elles ont jetées leur dévolu : leur confesseur. 

Le Maleus (autre ouvrage inquisitorial sur les méfaits de la sorcellerie, beaucoup plus complet que la Pratica) n’eut pas un succès immédiat. Mais cinquante ans après sa première édition, celui-ci connaîtra, de 1487 à 1520, quatorze éditions différentes, un record absolu pour l’époque, et aussi premier livre de poche, facile à transporter avec soi-même afin de savoir comment réagir à une quelconque attaque de sorcellerie ou à en éviter ses maléfices. 

Plusieurs éléments interviennent dans la répression des XVIème et XVIIème siècles : le rôle de l’Eglise encore, avec les problèmes qui lui sont propres et où ceux qu’elle a connus au cours du Moyen-Age s’amplifient, tandis que de là naît la Réforme dont le concile de Trente marquera l’apogée de cette Répression. Le conflit religieux, derrière se profile un conflit social et politique, période d’instabilité favorisant les superstitions comme la recherche de boucs émissaires ; tandis qu’une invraisemblable littérature de la sorcellerie va se développer (cf. article sur la sorcière et la littérature). 

A cette époque, l’Allemagne est « envahie » par la sorcellerie. Pour réagir face à cette soudaine « vague » sorcellerie, l’Allemagne invente toutes sortes de tortures pour faire durer le spectacle et, pour aller plus vite, les fours crématoires (où quarante-deux femmes avaient péri) existaient déjà. Mais ils avaient un spectacle inconvénient : on y perdait un spectacle gratuit. On inventait alors d’autres procédés, plus aptes à, satisfaire les masses… L’Allemagne avait ses détecteurs de sorcières, qui se faisait fort de jeter sur le bûcher les malheureuses sur lesquelles ils avaient cru voir la marque du diable. Elle avait surtout ses théoriciens surtout, catholiques ou protestants. Carpzov, juge de l’électorat de Saxe, y fut un des plus terribles persécuteurs de sorcières, dont l’influence continua de s’exercer bien après sa mort en 1666. 

La France fut certainement avec l’Allemagne le pays « le mieux disposé » à l’égard de la sorcellerie. Elle comprit plus vite l’aberration d’une telle persécution, mais n’en brûla pas moins tout aussi consciencieusement aux XVIème et XVIIème siècles. Elle disposait aussi d’une indéniable expérience.

Depuis le XIIème, on avait cessé de décrire complaisamment les agissements des sorciers, derrière se cachait le diable, et on avait toujours pris soin de dire qu’il était du devoir de chacun de les dénoncer. Si cela aboutissait à des énumérations fastidieuses par leur répétition, le problème se résolvait désormais plus simplement puisque, dans la plupart des cas, c’était le bûcher. D’autre part, on disposait de savants traités mettant en garde contre les agissements de Satan et l’image offrait à tous ceux qui ne savaient pas lire (la majorité) de recueils capables d’assurer les plus terribles cauchemars. La procédure enfin avait été définie. On savait comment s’y prendre face aux sorcières, comment les interroger, comment se protéger, etc., et la « méchanceté féminine » était connue de tous, notamment grâce au Maleus

Proche de la France et de l’Allemagne, la Suisse allait aussi connaitre aux XVIème et XVIIème siècles de dramatiques épidémies de sorcellerie. Le mieux était donc de s’en prendre aux sorciers qu’après avoir découvert la marque du diable derrière ces agissements, essayant ainsi de limiter les tortures parmi les plus douteux. Il était donc inutile de chercher à la limite de la torture puisque cela passait aussi par là. Mais il est vrai, que subtilement, on continuait à distinguer des degrés dans l’échelle de la souffrance… Cependant, certains se demandaient si la marque du diable justifiait la torture. Des doctes médicinales et universitaires répondirent que non, ce qui eut pour conséquence que plus rien ne se justifiait, et tout était remis en question. Ce qui était évident pour quelques-uns ne le fut pas pour tous, puisqu’il y eut encore des bûchers jusque vers 1680. 

Enfin, la loi se contentait donc de réprimer ce qui était trop outré : devant un meurtre ou un empoisonnement, magie ou pas, on était confronté à une évidence qui justifiait une sanction. Une loi de 1608, renouvelée dix ans plus tard environ, précisait donc les peines à appliquer en cas de poison ou de pratiques magiques, distinction finalement sans grande importance dans les cas flagrants, tandis que pour le reste, des témoins en nombre suffisant permettaient à celui que l’on soupçonnait de faire admettre son innocence. C’est la raison pour laquelle beaucoup de bûchers brûlèrent à cette époque. 

La dernière partie se trouve ICI !

Moyen-Âge

L’hérésie (Moyen-Age)


Pour lire la partie concernant l'Antiquité, c'est ICI !

Au sens strict, le mot hérésie implique tout crime commis contre la foi, toute croyance contraire.

Jusqu’au XIème siècle, on avait parlé de païens plutôt que d’hérétiques. Pourtant, dès ses débuts, l’Eglise s’était heurtée à eux. Ils avaient pris au cours des siècles de multiples formes, ils étaient de même légions, nous le verrons. Au fur et à mesure, elle avait condamné, mais cela ne touchait après tout que ceux qui étaient directement concernés, pas les masses. Une hérésie cependant dominait toutes les autres : le manichéisme (conception du Bien et du Mal comme deux forces égales et antagonistes). Sous des formes multiples il devait rester tout au long du Moyen-Age l’hérésie majeure. S’il venait d’Orient, il correspondait aussi à une attitude naturelle de l’homme païen qui faisait du monde le lieu de forces opposées. De cette opposition entre un principe du Bien et un principe du Mal dérivait spontanément celle de Dieu et du diable. Bien qu’habituellement, dans l’Ancien Testament et le Nouveau Testament, le diable a une place tout à fait inférieure à celle de Dieu, on lui prête, dans la vie réelle de tous les jours, une puissance largement équivalente. Tant qu’on ne lui avait pas accordé trop d’importance, on n’avait vu là qu’un reste de paganisme, mais les choses changeaient, et, comme on en parlait de plus en plus, cela évidemment n’arrangeait rien.
L’an mil n’avait peut-être pas connu la grande terreur apocalyptiques qu’on lui prêtera plus tard, mais il avait tout de même connu la peur. Des « prodiges » de toutes sortes s’étaient manifestés : comètes, éclipses, combats d’étoiles, monstres, épidémies et famines. Tout cela à coup sûr n’annonçait rien de bon, d’autant que l’hérésie refaisait surface : hérésie manichéenne au demeurant.
Quoi qu’il en soit, l’hérésie était bien une réalité ; alors n’était-ce pas une manifestation de Satan ici-bas ? Peut-être l’annonce de temps plus terribles ? Ils allaient l’être, en effet.



→ Hérésie et exclusion ←

Dans un premier temps, on parle moins d’hérésie que d’infidèle. Or l’infidèle c’est le mal, et le mal c’est Satan. L’infidèle c’est d’abord le musulman, le païen, et le juif. L’assimilation du diabolique va cette fois bien plus loin, puisqu’elle engendre une confusion où se révèle une religion tellement sûre d’elle qu’elle n’existe plus comme une qualité possible mais s’inscrit dans l’essence même de l’homme et conduit par un dangereux glissement de sens à pouvoir justifier tous les combats, la guerre contre les musulmans, comme le massacre des juifs.

Dès lors, c’est dans son apparence même que l’infidèle est diabolisé. De façon significative d’ailleurs, démons et Maures (populations du Maghreb) se confondent. On insiste sur leur laideur, leur noirceur, leur cruauté, tandis que certains font même des allusions à des « diables noirs », hideux, forts et tentateurs, qui tourmentent les hommes et les foules aux pieds.


Du XIème au XVème siècle, la lutte contre l’infidèle est avant tout une lutte contre le diable qui les utilise pour remettre l’Eglise en question. La Reconquista, les croisades, l’avance Turque, la chute de Constantinople, tout contribue à exacerber une telle croyance.

Comme si l’infidèle ne suffisait pas, à l’intérieur même de l’Eglise une contestation surgit puisque, du désir de pauvreté, naîtront les ordres mendiants.

Mues par un besoin de changement social, les masses se laissent facilement mener par toutes sortes de prédicateurs itinérants, orthodoxes ou non, pourvu qu’ils se fassent les messagers de la justice de ce monde. De nombreux courants hérétiques, dont des mouvements militaristes vont par la suite apparaître, chargés de rêves révolutionnaires liés à l’attente d’un monde où toute misère serait abolie.

Après la diabolisation de l’infidèle, les juifs, responsables de la mort du Christ et symboles du mal, sont à leur tour, assimilés aux démons et chargés dans la littérature comme dans l’iconographie des mêmes connotations (noirceur, cruauté, cornes, etc…). Satan, considérés comme père des juifs, en prend l’apparence et dans cet ultime glissement on passe au juif magicien entremetteur avec le diable. Ils deviennent alors responsables de tous les maux.

On se méfie donc de la médecine juive que l’on croit magique, et, dès le XIIIème siècle, il est interdit aux chrétiens de faire appel aux médecins juifs, ce qu’appuiera le concile de Bâle en 1934, mais qui n’empêchera pas de trouver dans un édit des rois de Castille, au début du XVème siècle (au moment où justement commençait la persécution des juifs en Espagne) : « Il n’y aura plus de médecins parmi les juifs, exception faite pour le médecin du Roi ».

On les accuse de pratiquer des sciences divinatoires, d’user de talismans, d’entrer en commerce avec le diable, voire de l’adorer, et, de manière générale, de participer à tout ce qui est trouble et transgresse d’une quelconque manière les interdits.

C’est à cette même époque que l’on commence à prêter plus d’attention à la femme « sorcière », plus dangereuse que les hommes « sorciers » selon la religion, puisque les possédés sont le plus souvent les femmes. Mais faut-il admettre, en bonne logique, que c’est là chose normale, puisque les femmes sont « hystériques » par définition ? A moins qu’elles ne le deviennent à force d’entendre répéter que leur corps est le lieu de prédilection du démon, auquel cas c’est l’hystérie sociale dont il faudrait parler dans cette société dominée et manipulée par la peur du diable, et par extension, par la pratique Juive.

L’essence même du juif est diabolique et le vocabulaire de la sorcellerie est sur ce point révélateur : « synagogue de Satan », « sabbat des sorcières », « cabale mystérieuse ». Alors le juif, le diable, la sorcière finissent par constituer un inséparable trio dans lequel les maléfices occupent une place prépondérante. Sous-homme, donc faible, comme la femme, incapable de s’imposer par lui-même, le juif ne peut espérer un quelconque pouvoir qu’en se soumettant aux puissances infernales. Reste que tout cela ne s’est pas fait par hasard, puisque l’Eglise a tout fait pour diaboliser la figure de la sorcière et du juif, uniquement pour pouvoir mieux contrôler les masses effrayées.

Dès lors on assimilait la sorcellerie à l’hérésie, il devenait difficile de poursuivre et l’on se donnait aussi le moyen d’atteindre d’autres minorités semblant échapper jusque-là à toute tentative de classement, tel l’homosexualité.

Indépendamment du problème religieux, si de tout temps on avait porté contre des minorités les mêmes accusations (meurtres d’enfants et cannibalisme associés aux orgies sexuelles), de toute évidence, le Moyen Age y trouvait une justification supplémentaire pour purifier le monde du mal qui le rongeait. Mais derrière le rôle dévolu ici à la sexualité, se cache finalement le refus de tout individualisme, la peur d’une société qui voit en la sexualité non contrôlée le risque d’une remise en question d’elle-même, raison pour laquelle, la sorcellerie sera, en plus de ce dont elle est déjà accusée, apparentée au « vice » sexuel dans ses rituels démoniaques et, si l’on peut dire, « sataniques ».



→ La montée de la sorcellerie ←

Contexte :
Le rôle conféré au pouvoir temporel dans la lutte contre l’hérésie allait bientôt se retourner contre l’Eglise elle-même, jusqu’à ôter toute indépendance à la papauté, qui tombera sous la coupe du roi de France. Le Grand Schisme (crise pontificale qui touche le catholicisme entre les XIVème et XVème siècles) d’ailleurs puisera là ses sources. Philippe le Bel (roi de France de 1285 à 1314), dont le sens des réalités n’était plus à prouver, sut mieux que quiconque tirer parti de son droit à poursuivre l’hérésie. Anticipant même sur la décision pontificale assimilant sorcellerie et hérésie, son règne marque le point de départ d’une série de procès dont l’accusation de sorcellerie constitue une des pièces maîtresses. Un tel phénomène ne fera ensuite que s’amplifier, pas seulement en France d’ailleurs.


De 1310 à 1314 a lieu le procès des templiers (ordre crée à partir du Concile de Troie). Accusés de renier le Christ, de cracher ou de marcher sur la croix, censés invoquer le diable, adorer des idoles ou rendre un culte à un chat, utiliser les cadavres des frères morts pour préparer des poudres magiques, coupables enfin d’hérésie, magie sorcellerie, sodomie (pratique sexuelle considérée comme étant contre nature par l’Eglise), ils finiront sur le bûcher.

Accusé de maleficia (en latin, « qui fait le mal, malfaisant, méchant, criminel, nuisible, malveillant, défavorable »), tentatives d’empoisonnement et « autres crimes affreux », on retrouve là les thèmes qui reviendront ensuite de façon régulière dans tous les procès de la sorcellerie : invocation du diable et apparition de ce dernier (sous la forme d’un moine ailé avec des cornes sur le front), poupée de cire baptisée au nom de la reine ou du roi, et piquée d’épingles puis jetée au feu (ce qui était censé avoir provoqué sa mort), mais aussi des breuvages faits avec des vipères, scorpions, araignées, crapauds destinés à la reine et aux princes royaux. Bénéficiant souvent d’un démon personnel enfermé dans une fiole et avec lequel il conversait, l’hérétique traditionnel pouvait provenir de toute catégorie sociale, souvent coupable de plusieurs meurtres pour servir sa carrière (s’il était haut placé), usurier, sodomite, faussaire, faux-monnayeur, alchimiste, ses éléments d’accusation venaient souvent suivre toutes les autres que l’on lui attribuait déjà, tandis qu’il devait enfin, selon les dires populaires, le jour à un incube. On n’hésitait pas aussi à nommer les témoins capables de confirmer tout cela. Mais la torture, comme toujours, était là d’un précieux secours.

Dans un premier temps donc, on dénonce tout cela comme folies, ce que précise encore, en 1310, le concile de Trèves. Pourtant loin de déraciner de telles superstitions, on va au contraire leur conférer une nouvelle ampleur. L’insistance avec laquelle on condamnait laissait sous-entendre un danger, la peur s’immisçait dans les esprits, liées à la certitude de quelque diabolique entreprise. Des vols nocturnes on passait au sabbat, de l’illusion à la réalité et, parce que la femme se prêtait mieux à cette réalité-là, les hommes s’effaçaient devant elle.

Tout de même, quelques-uns plus curieux, ou plus sceptiques tentaient d’assister aux préparatifs. Alors ils voyaient la sorcière s’endormir et ne plus bouger. Mais à son réveil elle n’en prétendait pas moins avoir participé à de fantastiques équipées et décrivait les horreurs du sabbat. Et comme il fallait bien trouver une explication, les plus crédules admettaient finalement que le diable, puisqu’on le savait capable de tout, avait fort bien pu substituer un individu à un autre.


→ L’attitude des masses et la création de l’Inquisition ←

Dans un monde où le surnaturel est partout, le moindre événement, le moindre fait, le moindre comportement sortant de la norme peut devenir objet de méfiance et de suspicion, et cela entre pour une grande part dans les accusations de sorcellerie issues des masses.


De façon générale en effet, on se méfie de tout. Puisque rien n’arrive sans cause, tout ce qui semble incompréhensible trouve une explication dans quelques processus magique. Une mort imprévue, par exemple, est aussitôt associée à un maléfice. On établit un rapport de causalité entre un phénomène anormal (tempête, orage) ayant des conséquences importantes et l’arrivée de quelqu’un de nouveau, comme on peut aussi accuser celui qui échappe à quelque malheur collectif.

On se méfie de tout ce qui est inhabituel : animaux de taille exceptionnelle, comportant quelque bizarrerie. Certaines plantes également suspectes soit par les anomalies qu’elles présentent, soit par les analogies que l’on peut établir de leur apparence, ou encore parce que leur rôle dans certaines préparations magiques comme le lieu où elles poussent (cimetières, au pied d’une potence) leur confère une connotation néfaste.

On se méfie de certaines ombres car on n’est pas sans savoir le rôle qu’elles jouent dans les évocations magiques. Mais on oublie le fait que l’hydromancie (art de la divination au moyen de l’eau), chargée de les faire apparaître se pratique le soir et dans le crépuscule, comme la nuit, transforment l’environnement et favorise l’illusion des sens.

On se méfie de l’utilisation de certaines choses : tout ce qui permet de nouer, miroirs capables de refléter une image suspecte ou magique, quand ils ne le sont pas eux-mêmes, tels ceux fabriqués sous certaines constellations et que dénoncera la faculté de médecine de Paris en 1398.

Tout individu ayant un quelconque rapport avec ce que nous venons d’évoquer est de ce fait lui-même suspect. Il l’est d’autant plus que son apparence s’y prête : attitude, particularité quelconque, laideur, difformité, et de vieilles femmes laides courbées par l’âge sont aisément victimes des populations, parce que l’on établit un rapport entre leur physique et la sorcellerie.

Méfiance envers celui qui emploie certains mots incompréhensibles ou suspects, marmonne, ou use à tort et à travers du nom de Marie, de Dieu, des saints ou du diable. Plus tard, d’autres éléments intervenant, on s’en souviendra. Quelque expression dite sous le coup de la colère suffit parfois à déchaîner l’opinion ; de même certains regards peuvent apparaître chargés de sens et celui qui les surprend aura vite fait d’y voir le symbole du « mauvais œil ». Ainsi, le comportement le plus banal de la vie quotidienne peut, dans un contexte déterminé, conduire aux pires accusations.

Méfiance envers celui qui détient un quelconque pouvoir. Envers celui qui peut prédire, car on s’imagine que la prédiction fait l’avenir ; envers le guérisseur qui, s’il peut ôter la maladie, peut aussi la donner, envers la sage-femme qui sait comment éviter de procréer mais peut aussi tuer les enfants.

Méfiance aussi envers certains métiers : le berger, parce qu’il connait la nature ainsi que certains de ses secrets, ou certaines professions en rapport avec les tabous (sang, impureté).

Ainsi, tout le problème de la sorcellerie repose sur une accusation banale. Telle personne victime d’un malheur quelconque l’est à cause d’une autre qui a cherché à lui nuire, accusation camouflée d’abord avant de se déclarer ouvertement, en usant du premier prétexte venu. Jusque-là, on en reste à un comportement de masse imprécis, capables des pires excès.

Mais, lorsqu’un discours officiel vient apporter la caution de son autorité à ces mêmes comportements, soudain tout s’inscrit dans une logique irréfutable. Des simples pratiques magiques, réelles ou supposées réelles on passe à l’idée que le sorcier ou la sorcière ne travaille pas seul, mais participe à une véritable secte qui a ses propres lois, ses rites, tends un à un but particulier, tout cela ne pouvant se faire sous la tutelle du diable. De là est née la hantise des femmes associées à Satan. En créant « la sorcière », on conférait une réalité à des fantasmes qui, loin de se dissoudre, se sont au contraire grossis des prétendus raisonnement du discours démonologique, contribuant ainsi à leur donner une structure tous les fanatismes. La Bible, les Pères de l’Eglise, les textes canoniques, tout concordait. En associant hérésie et sorcellerie, on disposait d’un moyen infaillible pour condamner. En y associant la femme, un nouveau crime se constituait et l’hérésie des sorcières devenait réalité. Ce qu’on avait pendant si longtemps considéré comme de folles croyances justifieraient la répression.  L’Inquisition, née pour lutter contre l’hérésie, n’en retient bientôt plus qu’une seule : magie et sorcellerie désormais confondues. Maléfique, œuvrant dans l’ombre pour le triomphe des puissances infernales, ma sorcière y occupe la première place.                                                      

Or, cela ne s’est pas fait en un jour. Les textes sont là pour le prouver. Pour mettre le manuel de l’inquisiteur au service de la chasse aux sorcières, il fallait une méthode permettant de classer et de généraliser, une méthode, qui, en codifiant, couvrirait les cas, envisagerait toutes les possibilités et qui, ne laissant plus rien au hasard, deviendrait l’arme absolue d’une répression sans merci.

Lorsque vers la fin de l’année 1323, Bernard Gui termine la Pratica dont il est l’auteur, il ne consacre, dans la dernière partie de son ouvrage que quelques pages aux sorciers, devins et invocateurs de démons. Il en évoque les formes nombreuses et variées, précise que leur interrogatoire devra en tenir compte et variera selon que l’on aura affaire à un homme ou une femme. Cependant, le texte n’en dit pas plus, et passe aussitôt aux pratiques habituelles dans un passage lui aussi très bref.

En 1376 parait le Directorum Inquisitorum de Nicolau Eymerich, qui sera alors le premier ouvrage conféré aux codages de la sorcellerie. Fort de l’expérience acquise depuis les débuts de l’Inquisition, il offre un système sans faille où la pratique inquisitoriale s’inscrit dans une rigoureuse logique. Cette fois, rien n’est oublié.

En érigeant en système le caractère diabolique de la femme, en assimilant hérésie et sorcellerie, la sorcière coupable d’un double crime, devant la société comme devant la foi, n’a désormais plus aucune chance d’échapper à ses juges et bourreaux. Mais de cela, l’Inquisition porte l’entière responsabilité, la sorcière étant le fruit de leur création.


→ Pourquoi la « sorcière » ? ←

En ne laissant plus rien au hasard la Pratica d’Eymerich a rempli sa fonction. Mais comment expliquer que tout à coup la sorcière porte seule l’entière responsabilité des crimes perpétrés contre l’humanité, tandis que le sorcier passe au second plan ?


Il ne suffit pas de dire qu’une certaine image de la femme associée au diable, au péché et à la sexualité a trouvé tout naturellement une concrétisation dans la sorcière, il ne suffit pas non plus d’en chercher la cause dans l’Eglise seule, même si elle a pesé ici de tout son poids. Il faut aussi chercher ailleurs et prendre en considération un ensemble d’éléments imbriqués les uns dans les autres, faisant intervenir une dimension psychologique, sociologique et culturelle dans lesquelles le rôle de l’inconscient n’est pas non plus négligeable.

Certains aspects de la femme dans la société médiévale semblent avoir été peu à peu modifiés au cours des deux siècles les plus importants au Moyen-Age. Pourtant, si le monde médiéval nous apparait comme un monde d’homme, c’est uniquement parce que nous le saisissons à travers de nombreux préjugés formés d’épisodes confondus dans l’Histoire. Au XIIIème siècle, la femme peut rester propriétaire de ses biens, dont le mari peut disposer, elle dispose du droit de vote, intervient dans les procès comme plaignante ou témoin, tient une place dans la vie économique, exerce un métier (et même parfois un métier d’homme), peut ouvrir une boutique, par exemple, sans avoir l’accord de son époux, elle a encore le droit de conserver son nom de jeune fille, d’occuper les fonctions de son mari lorsque celui-ci s’absente, enfin, elle participe au même titre que lui à l’éducation des enfants. Loin d’être asservie, la femme est reconnue et sait s’imposer à côté de l’homme.

Sur le plan religieux, que dire du rôle dévolu aux saintes ou au culte de la Vierge Marie ? Institué dans le courant du XIIème siècle, il n’est surement pas étranger à la place qu’occupera désormais la femme dans l’art et la littérature. Certes, opposée à Marie, il y avait Eve la pécheresse, et, depuis toujours une certaine méfiance existait envers la femme, dont la littérature religieuse se faisait l’écho, même si l’on l’excusait en partie pour sa faute, et que l’Eglise tenait tout de même un discours réservé, voire hostile.

Dès la fin du XIVème siècle, on assiste à un durcissement. Soudain, le courant s’inverse : le statut de la femme, ses capacités, sa nature même se trouvent mis en question, au point de faire disparaitre toute lucidité à son égard. Que s’est-il passé tout à coup, quels faits ont pu entrainer un tel changement dans l’aboutissement de la sorcière ?

Si la littérature de l’époque est révélatrice de ce changement, l’iconographie l’est tout autant. L’image de la femme se trouve mêlée au péché.

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Anonyme, Allégorie de la mort, XVIIème siècle.

Dans un manuscrit du XIIIème siècle, Le Miroir de vie et de mort, (cette photographie est indisponible, car ces recherches sont exclusivement livresques, mais l’image ci-dessus symbolise bien le fait que la femme est « diabolisée » et aussi apparentée aux phénomènes de mort). On voit un arbre dont les racines symbolisant les différents péchés prennent la forme d’un serpent au visage de femme, ou encore, usant de toutes ses séductions, la femme devient le symbole même de la tentation.


Campo Santo de Pise, Le Triomphe de la Mort.

La mort prend enfin le visage de la femme, vieille, décharnée, brandissant une faux, ou sert à exprimer la vanité de celle qui, sous une belle apparence, n’est déjà que pourriture, et se damne en se livrant sans limite aux plaisirs de ce monde, tandis que le diable ou le serpent apparaît de plus en plus à ses côtés.

La dénonciation de la femme devient un des thèmes favoris des prédicateurs. Superficielle, tentatrice, coquette, on lui demande d’être humble et chaste.

Il était aussi essentiel pour l’Eglise que le pouvoir restât entre les mains des hommes et que le destin des femmes ne dépendit que d’eux. Proie jugée facile, la femme est peu à peu soumise par la religion avec de nouvelles mœurs qui s’installent dans la société. Sa réputation ne tenait alors qu’à sa force morale garantissant un comportement qui ne devait laisser aucune prise à la médisance ; mais elle ne pouvait rien contre les accusations sans fondement nées de la seule suspicion. Le fait de tenter d’échapper ou de se rebeller face à ces accusations, alarmait aussi l’Eglise, et en faisait aisément une coupable et il n’est pas étonnant que tant de femmes aient été accusée de sorcellerie.

Car la femme, mystérieuse en elle-même, inquiète l’homme quand elle ne devient pas pour lui une source d’angoisse. Dans son être même, par son pouvoir de donner la vie, elle est plus proche de la nature que lui. Par ses fonctions, nourrir, soigner, elle en connait les secrets, mais elle peut aussi les utiliser pour nuire, pour fabriquer d’étranges recettes qui lui donneront malgré tout le pouvoir de prophétiser.

Inquiétante, la femme l’est dans son corps même, secret, caché, d’où la place que tiennent les « secrets de la femme ». Mais en même temps, c’est un corps ouvert, déchiré, fendu, auquel on oppose le corps idéalement clos de la Vierge. Ce n’est pas sans raison non plus que l’enfer est représenté comme une grande gueule ouverte engloutissant les damnés, tandis que le sexe féminin est associé à une bouche.

La peur de la femme impure provient de l’inconscient. Les interdis pesant sur le cycle menstruel, l’accouchement contribuent à maintenir cette image, que l’on trouvait aussi dans la Bible. Ainsi, on croit que le sang menstruel empêche la germination des céréales, fait mourir les herbes et les fruits, rouille le fer, noircit les objets d’airain, rend enragés les chiens qui en ont absorbé et possède la propriété de dissoudre la glu de bitume, dont le fer même ne pouvait venir à bout. Mais l’interdit pesait principalement sur la sexualité, car l’on pensait aussi que les règles conduit à affirmer que l’enfant ainsi engendré sera roux (raison pour laquelle ceux-ci furent aussi persécutés au moyen-âge), à moins encore qu’il ne contracte la rougeole ou la variole, se ce n’est la lèpre. On croit encore que pendant les règles le regard des femmes se change en poison. Ternissant les miroirs, il se fait porteur de mort, rejoignant ainsi les pouvoirs du basilic, animal fabuleux, sorte de serpent ailé d’oiseau et au regard meurtrier.

Cette image de la femme venimeuse se retrouve dans maints récits, touchant non seulement les jeunes, mais aussi les femmes à la ménopause qui, parce qu’elles ne peuvent plus éliminer leur venin, n’en sont que plus dangereuses. C’est la raison pour laquelle, on attachera de l’importance au « mauvais œil ». Mais finalement, c’est par son mécanisme physiologique que la femme est venimeuse. Dès la fin du XIVème siècle, « l’explication qui permet de produire à volonté des jeteuses de sort, des sorcières est en place », cautionné par un discours scientifique hostile à la femme.

La femme source de vie engendre aussi la mort et la maladie. Si en raison de symptômes moins apparents chez elle, on la croit immunisée, l’immunité deviendra ainsi la preuve de la « marque du diable ». Du lien vie-mort expliquant que, dans la plupart des civilisations, la femme soit directement en rapport avec les rites funéraires naitra aussi la fonction dévolue à la sorcière médiatrice entre les vivants et les morts, par laquelle on fera ensuite le lien entre peur de la mort, et de la sexualité (à cette époque).

Dans un monde où tout culturellement contribuait à accabler la femme, persistait les superstitions et les croyances bien plus que ridicules à leur sujet. Tout un monde imaginaire va donc se créer, grâce au pouvoir du christianisme, afin de placer l’homme au-dessus de la femme.

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