La sorcière à l’Antiquité
En réalité, la sorcellerie apparaît dès la préhistoire, et non à l’Antiquité. Mais pour des raisons pratiques, nous n’allons pas traiter de cette période, car très peu de documents sont disponibles pour que nous puissions faire un article jugé suffisant et correct sur la sorcellerie à la préhistoire.
C’est de la « magicienne » que parlent les textes grecs et latins (L’Odyssée d’Homère), dans un vocabulaire qui nous apparaît insuffisant dès lors que l’on s’obstine à y projeter nos propres valeurs.
Magicienne est Circé, tout comme Médée aussi est magicienne. Et pourtant, doublement sœurs, elles n’en sont pas moins deux images opposées de la femme. A l’une, appartient le charme, la douceur, la séduction. A l’autre, l’intensité dramatique où puise la passion. L’une peut connaitre la pitié et se laisser fléchir, l’autre ne connait que le désir aveugle et la vengeance dans laquelle la déception vient s’abreuver de la haine qui l’anime.
Circé se fait guide d’Ulysse et de ses hommes parmi tous les dangers, même dans les enfers. Médée renvoie tous ceux qui l’approchent à leur perte et se perd avec eux. Des breuvages de Circé naît l’oubli où le temps s’estompe.
Omniprésent chez Médée, le passé contient déjà tout l’avenir, tandis que par une effrayante fatalité, celle qui en tisse la trame ne parvient pas à en infléchir le cours. Tous les actes de Circé sont empreints de subtilité, de la légèreté, même que leur confère la baguette magique lorsqu’elle métamorphose en effleurant, et tout cela n’a rien à voir avec les sombres artifices et les terribles imprécations de Médée, enserrent ceux qu’elles veulent prendre. A Circé qui garde sous le charme et sait le moment venu rendre la liberté, s’oppose Médée qui ordonne, asservit, et foudroie. Toutes sont cependant magiciennes, mais à l’image enjôleuse de l’enchanteresse s’oppose l’image maléfique de celle qui donnera naissance à la sorcière.
Cependant, faire de Médée une sorcière ne « passe pas ». Mais ne pas en parler non plus, c’est oublier que sont tout de même contenues toutes les pratiques de la sorcière en elle. Reflet de toute une culture, la sorcière s’inscrit donc au sein d’une multiplicité d’éléments qui en sont inséparables, comme, la mythologie, la religion, et ce que nous appelons superstition, demeurent étroitement liées.
→ Magie, religion et superstition ←
La mythologie, on le sait, tenait une place essentielle dans les religions de l’Antiquité. Les dieux naissaient d’un besoin d’explication de l’univers. S’il existait des lieux en Grèce bien des monts portant le nom d’« Olympe », n’oublions pas que le plus célèbre se situait à la limite de la Macédoine et de la Thessalie. Mais est-ce par hasard que cette terre deviendra celle des grandes magiciennes ?
En tout cas, la magie est inséparable de la mythologie, comme les démons, bien qu’ils soient très différents de ceux du christianisme. Métis, fille d’Océan et de Thétis, première femme de Zeus, et mère d’Athéna, est d’une certaine manière, elle aussi très représentative de la sorcière. Elle évoque notamment cette prudence rusée qui peut se changer en perfidie. Et dans l’immédiat, Métis préférait en effet se faire un allié de Zeus qui, espérant en trouver d’autres auprès de ses frères et sœurs, put grâce à une plante donnée par Métis obliger Chronos à restituer ses enfants sains et saufs.
Dans la guerre entre les Olympiens et les Géants, c’est encore grâce à la connaissance d’une plante magique dont la Terre disposait et que Zeus lui déroba (dans l’obscurité, et après avoir obligé les astres à se cacher) qu’il dut de conserver son pouvoir. Herbes et breuvages magiques, onguent donné à Jason par Médée, divination, sortilèges et métamorphoses jalonnent la mythologie. C’est aussi grâce à Héphaïstos, le Dieu boiteux des forges et des volcans, lui qui savait façonner le métal qui enserre, entoure, lie et protège à la fois : anneaux, bagues et colliers, que les talismans furent crées, puisque c’est lui qui enferma Aphrodite et Arès le filet invisible qui fit d’eux la risée de tous les dieux, et qui avait aussi façonné les lourdes chaines de Prométhée qui le tenaient cloué à son rocher. C’est aussi grâce au dieu Asclèpios (peu connu dans la mythologie grecque), à juste titre dieu de la médecine, puisque, surpassant tous ses confrères, pouvait même ressusciter les morts, raison pour laquelle la figure de la sorcière sera à jamais rattachée à la médecine, et que l’on associera les potions à son image.
La religion récupérait tout cela. En Grèce comme à Rome, les dieux dirigeaient l’univers, ce qui expliquait le besoin de se les rendre favorables par l’intermédiaire de prières et de sacrifices. D’autres part, sujets aux mêmes désirs que les hommes, les dieux pouvaient se faire bénéfiques ou maléfiques. Les hommes s’arrangeaient pour y trouver leur compte, puisque dans les deux cas, ils étaient assurés d’une protection. Cela expliquait donc l’existence de divinités de la magie que l’on invoquait pour assurer le succès des pires entreprises, mais auxquelles on pouvait tout aussi bien laisser le soin de conjurer le mauvais sort. La terrible Hécate, fille du titan Persès et de la Titanide Astéria (« la nuit étoilée »), n’y échappait pas. Représentée sous sa triple forme devant les maisons, toute femme quittant sa demeure lui confiait le soin d’y veiller lors de son absence. Faisant partie de la Triade Lunaire, Hécate représente la lune noire, alors que Artémis, déesse da la forêt, représente le croissant de lune, et donc la maturité, Séléné représente la pleine lune, et donc, la naissance, elle, représente la mort. C’est la raison pour laquelle elle sera progressivement uniquement associée à la face sombre de la Lune, et se verra peu à peu conférer des capacités de divinations et de sorcellerie. Elle est également la magicienne par excellence, et la maitresse en sorcellerie à qui font appel tous les magiciens.
Hécate, avec son bouclier et sa torche, terrassant un Géant,
180-160 av. JC, autel de Zeus et d'Athéna à Pergame, exposé au Pergamonmuseum de Berlin.
De la religion à la superstition et à la magie, il n’y avait qu’un pas, mais la superstition se chargeait d’un sens bien particulier. A cette époque, existait déjà une crainte des démons. Or, dans la mesure où ils jouaient un rôle d’intermédiaires entre les pensées des hommes et celles des dieux, on se devait de leur rendre hommage « afin que soient favorables les messages qu’ils étaient chargés de transmettre », on assimilait cette peur à la crainte des dieux. Les démons avaient ainsi le mérite comment avait pu venir le jour de la divination dans son ensemble, la science des prêtres touchant les choses qui ont rapport aux sacrifices, aux initiations, aux incantations, et à la prédiction.
En revanche, d’autres aspects que nous serions tentés qualifier de superstitions s’inscrivaient tout naturellement dans les religions de l’Antiquité. Tout y prenait valeur de signe, et chaque signe était un avertissement qu’il suffisait de savoir interpréter pour en tirer l’enseignement et la protection nécessaires. Les présages et plus encore les oracles permettaient ainsi à l’homme de communiquer avec les dieux. Ce besoin d’interroger l’avenir s’expliquait d’ailleurs logiquement. Le destin de chacun était entre les mains de la terrible Moïra, « destin », il avait en effet tout lieu de s’en inquiéter, tandis que la divination devenait un art au statut officiel.
En revanche, d’autres aspects que nous serions tentés qualifier de superstitions s’inscrivaient tout naturellement dans les religions de l’Antiquité. Tout y prenait valeur de signe, et chaque signe était un avertissement qu’il suffisait de savoir interpréter pour en tirer l’enseignement et la protection nécessaires. Les présages et plus encore les oracles permettaient ainsi à l’homme de communiquer avec les dieux. Ce besoin d’interroger l’avenir s’expliquait d’ailleurs logiquement. Le destin de chacun était entre les mains de la terrible Moïra, « destin », il avait en effet tout lieu de s’en inquiéter, tandis que la divination devenait un art au statut officiel.
Si les oracles de la Pythie n’étaient pas toujours bien clairs, ils n’en étaient pas moins respectés. Dans la République (premier livre de philosophie sur la politique), c’est à elle que Platon abandonnait le soin de trancher les questions morales et religieuses. A Rome, c’était aux livres sibyllins que l’on s’en remettait dans les situations particulièrement critiques. Obtenus, disait-on, par Tarquin le Superbe (qui fut le septième et dernier roi de Rome) de la Sibylle de Cumes en personne (l’une des douze sibylles), on allait en grande pompe au Capitole consulter leurs oracles qui étaient autant de prescriptions pour apaiser la colère des dieux. Prophètes et prophétesses, devins et devineresses, exerçaient donc un rôle essentiel.
La divination ne concernait pas seulement les affaires de l’Etat, mais intervenait aussi dans la vie quotidienne. L’interprétation des songes préoccupait chacun : messages des dieux, ils apportaient des de précieuses informations sur l’avenir et aidaient aussi à supporter le présent. Tous les romans grecs et latins en étaient remplis. Les hommes en attendaient une réponse à leurs préoccupations et à leurs angoisses, que révèlent encore les tablettes de plomb trouvées à Dodone où les questions posées à la prêtresse de Zeus ont trait à l’amour, au travail, ou à l’argent. Certains comportements religieux n’excluaient pas non plus une référence magique : magie initiative consistant à plonger dans l’eau une baguette de chêne afin d’obtenir de la pluie lors de grandes sécheresses, de tracer des cercles magiques chargés d’écarter les maléfices lorsque le vent risquait d’anéantir les vendanges, mais aussi le transfert du mal sur le bouc émissaire lors de fêtes dédiées à Apollon, ou encore, des cultes de la fécondité, tels ceux réservés à Déméter ou Dionysos (déesse de l’agriculture et des moissons, et dieu de la fête et de la vigne, tous deux associés à la magie et à la sorcellerie).
Dionysos et les Satyres, vers 480 avant J.C,
Cabinet des Médailles de la Bibliothèque nationale de France
Toutefois, une différence fondamentale s’imposait entre magie et religion. L’une tendait à la seule satisfaction du désir et usait d’une volonté sans limites afin de plier les puissances surnaturelles à sa volonté, l’autre impliquait un respect et une soumission usant de prières. Le prêtre ou la prêtresse n’exerçait ainsi pas le même pouvoir que celui d’un magicien, magicienne, sorcière ou sorcier, puisqu’il jouait uniquement le rôle d’intercesseur.
La religion ne se préoccupait pas seulement de la vie sur Terre, mais aussi de l’au-delà. Le monde souterrain des Enfers, que la mythologie avait attribué à Hadès lors du partage de l’univers, inquiétait donc grandement les vivants, et les mystères qui donnaient aux initiés l’assurance du bonheur après la mort eurent, tout au long de l’Antiquité, une grande importance. Quelques fois cependant, les mystères de Dionysos ou l’orphisme (procédés qui permettait de « réveiller » les morts selon les croyances, et selon le nom « orphisme », soit Orphée, qui fit parti des Argonautes pour ramener sa femme Eurydice des Enfers), dégénéraient parfois en sectes suspectes de tomber dans les pires débauches, auxquelles venaient s’associer des pratiques magiques. Hécate était d’ailleurs la patronne des orphiques. A Rome, ceux qui exploitaient la crédulité humaine et qui s’enrichissaient en faisant miroiter la toute-puissance de leurs incantations (paroles à effet magique) et de leurs sortilèges, se faisaient sévèrement réprimander.
Une mentalité à la fois superstitieuse et magique imprégnait toute la vie des Anciens et se manifestait dans les attitudes les plus courantes. Les enfants qui n’avaient pas étés sages étaient menacés de divers croquemitaines. Monstres femelles qui venaient les enlever pour les dévorer, ils avaient pour nom Gelo (ou Lamia), Mormo, ou encore la terrible Empuse, spectre appartenant à l’entourage d’Hécate et vivant dans les Enfers, qui se métamorphosait à volonté, pouvant prendre toutes les apparences possibles, y compris celle d’une belle jeune femme, afin de mieux séduire d’innocentes victimes.
Une mentalité à la fois superstitieuse et magique imprégnait toute la vie des Anciens et se manifestait dans les attitudes les plus courantes. Les enfants qui n’avaient pas étés sages étaient menacés de divers croquemitaines. Monstres femelles qui venaient les enlever pour les dévorer, ils avaient pour nom Gelo (ou Lamia), Mormo, ou encore la terrible Empuse, spectre appartenant à l’entourage d’Hécate et vivant dans les Enfers, qui se métamorphosait à volonté, pouvant prendre toutes les apparences possibles, y compris celle d’une belle jeune femme, afin de mieux séduire d’innocentes victimes.
Dans la vie pratique, l’agriculture empruntait à la magie maintes recettes dont le traité qu’écrivit le consul Caton l’ancien porte la marque, ce qui ne l’empêchait pas par ailleurs de condamner devins et magiciens. Dès sa nomination en 184 avant J.-C., il engagea aussitôt une répression sans merci fin de mettre un terme à leurs abus. Les médecins ne craignaient pas non plus d’y avoir recours, sans pour autant s’apparenter aux faux guérisseurs. Pline (un autre consul), tout en condamnant « les monstrueux mensonges » nés de « cet art monstrueux » qu’est la magie, s’est cependant fait l’écho d’une médecine faite de croyances populaires où les recettes de bonnes femmes tiennent une grande place. Finalement, l’imposture était l’objet de violentes critiques, tandis que certaines pratiques plus ou moins magiques étaient acceptées dès lors qu’elles faisaient appel à des observations susceptibles de venir en aide aux hommes.
C’est ainsi que, d’abord éparses, les pratiques magiques prirent une ampleur nouvelle vers la fin de la République et ne cessèrent ensuite de s’immiscer dans la vie quotidienne, exacerbant les plus invraisemblables superstitions et offrant à chacun les moyens d’assouvir ses vices. Le personnage de la sorcière puisait là une extraordinaire intensité et s’imposait par ses maléfices.
La magie maléfique n’opère pas partout ni n’importe quand. La nuit est son domaine. Dans l’Antiquité, le monde de la sorcellerie est un monde de femmes, comme le sont les divinités protectrices sous l’égide desquelles elles opèrent, et toutes les déesses lunaires : Artémis, Diane, Hécate et Séléné.
Or, si Artémis/Diane présidaient aux cérémonies magiques, ce n’était qu’indirectement. Déesses sauvages hantant bois et montagnes, la Diane chasseresse comme Artémis tuaient de leurs flèches bêtes et hommes. C’était aux flèches d’Artémis que l’on attribuait la mort subite.
Apparentée à Artémis, Hécate, en revanche, régnait dans le partage de la sorcellerie. Elle est la femme d’Aaétès, père de Médée et de Circé (selon la légende, car la tradition veut que Circé soit la tante de Médée), Hécate marquait de ses pouvoirs une lignée au dramatique destin et lui imprimait ses caractéristiques essentielles. Associée au monde des ombres, souveraine des âmes des morts, elle décidait de l’union ou de la séparation de l’âme et du corps, tandis qu’elle entretenait un mystérieux rapport avec la vie et la mort. Si elle avait sa place au foyer en tant que protectrice des mânes des ancêtres, elle se plaisait aussi dans les lugubres tombeaux et fréquentait les cimetières. Ombre se glissant parmi les ombres, elle apparaissait par les nuits claires, comme par les nuits sans lune, à moins encore qu’elle ne les éclairât de la lueur de chacune des torches qu’elle tenait à la main. Elle appréciait particulièrement les carrefours, raison pour laquelle la triple représentation lui était conférée, on la rencontrait entourée d’âmes et des chiens aux aboiements furieux dans lesquels il lui arrivait de se métamorphoser.
La gracieuse Séléné seule semblait un peu en marge dans ce monde sombre. Parcourant la nuit sur un char d’argent attelé de deux chevaux, toujours en quête de quelque nouvel amour, elle n’en était pas moins une autre personnification de la lune. L’amour, lui, expliquait bien des pratiques magiques.
La sorcellerie puisait donc là ses sources et la lune s’y faisait la complice discrète des pires entreprises. De tout cela la sorcières porte la marque. C’est au moment de la pleine lune, que Médée sort de sa demeure, alors, le grand silence de minuit elle porte çà et là ses pas errants, elle glisse sans bruit, tandis que tout se tait, jusqu’au moment où de terribles invocations déchirent le silence de la nuit environnante.
Rien de bien étonnant, la sorcière est une femme associée au mal. Médée elle-même, qui sait de quoi elle parle, nous en donne l’explication : « Si la nature nous fit, nous autres femmes, entièrement incapables du bien, pour le mal, il n’est pas d’artisan plus expert » (l’Odyssée, Homère). Médée, en effet est une femme avant-tout. Ses pouvoirs magiques n’ont pas d’autre but que de servir la femme. C’est par amour pour Jason qu’elle en use d’abord, et c’est grâce aux herbes enchantées qu’elle lui donne qu’il parvient à triompher de tous les obstacles auquel il est confronté lors de la conquête de la Toison d’Or.
Si la sorcière a un visage, et même une voix, elle a aussi ses lieux de prédilection. Liés à ses origines, ce sont ceux qu’elle hante à la recherche des ingrédients dont elle a besoin. D’Asie Mineure étaient venus les rites barbares, et ont petit à petit imprégné ce qui était alors le royaume des sorcières de l’Antiquité : la Thessalie. Des régions voisines, telle que Béotie, s’avéraient donc extrêmement propices aux artifices magiques, fournissant toutes sortes d’herbes cueillies le plus souvent sur les cimes élevées des montagnes où au bord des fleuves, et une multitude de poisons nés dans le contrées les plus brûlantes comme dans les plus glaciales. La Thessalie est longuement évoquée comme étant une terre recouverte d’herbes nuisibles et de pierres sensibles aux chants magiques des mystères funèbres, tandis qu’une foule d’objets capable de faire violence aux dieux se dresserait. Ainsi, Terre de Thessalie aux charmes multiples, où rien ne résiste à la magie amoureuse, où tout peut être modifié dans l’ordre du monde : le temps, le cours des fleuves, l’emplacement des montagnes comme la position de la terre, où les animaux sauvages sont réduits à l’impuissance, où que les astres eux-mêmes n’échappent pas au pouvoir des sorcières capables de faire descendre la lune sur la terre, où les morts ressuscitent.
Personnage complexe fait d’une multitude d’éléments disparates, la sorcière n’était qu’au fond que le reflet de la complexité humaine fascinée par le mal et le désir dans son infinie puissance, pour qui l’humain n’avait pas de secrets, trouvait dans la sorcière une implacable froideur qui assurait l’accomplissement de ses plus noirs desseins. Au-delà des faits et surtout des croyances, de la réalité même que l’on lui conférait et des lois qui, à défaut de prendre position dans ce domaine, se contentait de sanctionner ce qui portait atteinte à l’homme, la sorcière devenait objet d’étude.
Si la condamnation de certaines pratiques magiques n’était pas nouvelle, et si les persécutions n’avaient pas attendues le christianisme, elles s’amplifièrent cependant à son approche. C’est à partir de là aussi que s’établit la confusion entre pratiques superstitieuses, divination sous toutes ses formes et magie glissant insensiblement vers la sorcellerie. Avec l’Empire romain, les lois concernant la magie se font de plus en plus fréquentes, oscillant entre une rigueur extrême et une certaine tolérance selon le sens accordé aux mots.
Soucieux d’enrayer des pratiques qui ne se contentaient pas de tromper mais pouvaient devenir dangereuses, August fit saisir et brûler tous les grimoires de magie que l’on put trouver, tandis que les magiciens étaient proscrits. Il s’était pourtant montré autrefois fort satisfait des prédilections qu’on lui avait faites, et cet incrédule apparent avait même commémoré l'événement en faisant frapper une monnaie où était gravé le signe de Capricorne, auquel il appartenait.
Bannis encore sous Tibère (empereur romain de 14 à 37), « quatre mille affranchis souillés de cette superstition » furent, aux dires de Tacite (historien et sénateur romain) « transportés en Sardaigne pour y réprimer le brigandage », et Suétone (érudit romain qui a vécu entre le Ier et le IIème siècle) rappelle « qu’il interdit les cérémonies étrangères, les rites égyptiens et juifs, en obligeant ceux qui étaient abonnés à ces superstitions de jeter au feu leurs vêtements religieux avec tout leur attirail ». Le culte d’Isis (Déesse égyptienne de la mort et des présages funestes) déjà attaqué par Agrippa (général et homme politique romain du 1er siècle avant J.-C.), en 21 av. J.-C. fut à nouveau concerné. Quant aux astrologues, il fut décidé de les expulser. Mais, ajoute Suétone « sur leurs instances et sur la promesse d’abandonner leur art il leur pardonna ». L’empereur, il est vrai, depuis que l’un d’eux lui avait prédit que sa femme accoucherait d’un garçon « promis à un destin exceptionnel ».
Exilés sous Claude (empereur romain de 41 à 54 ap. J-C.), les magiciens n’en demeurent pas moins présents à la cour impériale. Néron (empereur romain de 54 à 68 ap. J-C.) comme Tibère , condamnent, mais tous deux ne craignent pas d’y avoir recours. Peut-être à l’instar de Caton (politicien, écrivain et militaire romain) qui redoutait de voir les esclaves user des pratiques divinatoires pour se retourner contre leurs maîtres, craignaient-ils de se voir remis en question. Et quand on sait ce que furent leurs règnes, ils avaient, il est vrai, de bonnes raisons de se méfier.
Avec le temps, les choses ne s’étaient évidemment pas arrangées et les accusations de magie « dans son sens les plus noir » s’étendaient nécessairement à tous ceux qui, d’une quelconque manière suspects.
Les chrétiens n’avaient pas tardé à en faire les frais. En s’opposant au paganisme (religion des païens) et en se marginalisant, ils étaient devenus des victimes toutes trouvées. Responsables de toutes les catastrophes qui apparaissaient, comme autant de manifestations de la colère des dieux, les sorcières et sorciers étaient obligés de se cacher, tandis qu’ils étaient sans cesse suspectés des pires monstruosités, d’autant que le christianisme pris à la lettre semblait s’apparenter à l’anthropophagie (cannibalisme).
En attendant, les chrétiens disposaient d’une arme dont ne pourront se prévaloir par la suite l’immense majorité des accusés : à travers certains des leurs, ils pouvaient essayer de se faire entendre. Mais la polémique exacerbait la foi et attisait aussi un fanatisme qui bientôt permettrait à celui qui ne partageait pas les mêmes croyances de voir se retourner contre lui les accusations dont il s’était lui-même servi. Bientôt, païens et hérétiques en tous genres se verraient soupçonnés des mêmes crimes et la sorcellerie y puiserait une nouvelle force. Alors, de la hantise de toute déviance naîtrait de nouveaux martyrs.
Quant à Marc Aurèle s’il « priait avec ferveur tout ce qui se priait un peu partout », sauf le dieu des chrétiens, il ne dédaignait pas, en bonne logique, l’aide de puissances occultes et se faisait accompagner dans ses batailles par des devins et magiciens plus ou moins sorciers. Durant la guerre contre les Marcomans, (peuple germanique occidental) un providentiel orage éclata, tandis que la foudre dispersa les ennemis. La colonne aurélienne devait immortaliser ce « miracle »que les chrétiens, par la suite, s’empressèrent d’attribuer au Christ… Rien d’étonnant après tout dans cette surenchère superstitieuse : Tertullien (écrivain italien né entre 150 ap. J-C. et mort en 220) ne déplorait-il pas que l’on ait attribué à Jupiter une pluie, que, de leur côté, les chrétiens avaient demandés à Dieu ?
Si Caracalla (empereur romain de 211 à 217) prétendit dénoncer toutes les pratiques superstitieuses, elles ne lui étaient pas cependant étrangères. Même la nécromancie (art de ramener les morts à la vie) ne l’effrayait guère. Toujours est-il que, peut-être parce qu’il en connaissait les dangers, une législation extrêmement rigoureuse se chargea de mettre bon ordre à tout cela. L’étude de la magie fut interdite, les livres brûlés, leurs lecteurs au mieux bannis (et leurs biens confisqués), sinon condamnés à mort, avec tous ceux qui s’étaient adonnés à cet art. Fait révélateur, la peine de mort, sans distinction de rang, était le los de tous ceux qui avaient cherché à pénétrer le destin de l’empereur. La seule différence restait dans la manière de mourir : les superiores (en latin) étaient décapités, les autres jetés aux bêtes ou crucifiés. Toutefois, les bûchers existaient déjà pour les magiciens et, lorsque l’on renoncera à la croix devenue symbole de la rédemption, on conservera la peine de feu.
La magie seule demeurait, et, malgré tous les aléas de parcours qu’elle pouvait rencontrer, malgré les condamnations réitérés, et les accusations proférées par de nombreux empereurs et consuls soucieux de s’en débarrasser, les pratiques magiques resurgissaient tout le temps.
Un siècle après les belles dispositions de Caracalla, rien ne semblait résolu puisque, en 319, Constantin dut rappeler les lois anciennes vraisemblablement oubliées. S’il semblait cependant maintenir une distinction entre magie bénéfique et magie maléfique, il distinguait surtout entre magie licite et illicite. La magie se devait donc de rester sociale et publique, ce qui permettait de surveiller les rites réduits aux traditionnelles divinations, que l’on pouvait toujours, le cas échéant, censurer.
Enfin, si l’empereur se montrait favorable au christianisme, c’était aussi que le christianisme le servait puisque en rassemblant les hommes, il l’aidait à vaincre les antagonismes. Quant à savoir si la conversion de Constantin avait été motivée par des signes particuliers, ce qui est sûr c’est qu’il restait profondément marqué par des attitudes encore essentiellement « païennes » dont il lui était impossible de se défaire, parce qu’elles étaient trop bien ancrées dans les esprits.
Le retour au paganisme de Julien eut du moins le mérite de mettre un terme à la répression (mais il est vrai que les chrétiens en firent une nouvelle fois les frais), et la magie refleurit. Cependant, les rites nocturnes, qui consistaient à ouvrir le ventre d’une femme enceinte pour en arracher le fœtus et se livrer à un rite de nécromancie afin de connaitre le destin de l’empereur, étaient interdits, et restaient passibles de la peine de mort.
L’essentiel étant de rester du bon côté, on ne tarda pas à condamner la magie une fois de plus, et d’autant plus sévèrement qu’elle était du côté de ceux dont on avait quelque chose à redouter, et d’autant plus facilement que le sacrilège et le crime de lèse-majesté lui était associés dans un non moins révélateur glissement de sens. La persécution entreprise contre les païens prit une ampleur jamais vue, au point que les plus innocents finissaient d’eux-mêmes par se croire coupables. Les intellectuels furent évidemment les premières victimes et plusieurs philosophes trouvèrent la mort.
A ce rythme-là, les rangs des magiciens commencèrent à s’éclaircir. Les choses allaient mal pour eux, et tout aussi mal pour les païens. Ils allaient encore s’en apercevoir avec Théodose (empereur romain de 379 à 395). Rallié à l’Eglise, il méritait bien le titre qu’elle lui donna. C’est en « grand » qu’il fit les choses et imposa le christianisme. Mais en imposant le christianisme, il ne se contentait pas de renier le paganisme, il allait bien plus au-delà. En assimilant les anciens dieux aux démons, il se devait de pourchasser ceux qui en les adorant, devenaient de ce fait coupables de pratiques magiques. Par un de ses habiles raccourcis dont l’Eglise avait le secret pour résoudre ses problèmes, on assimilait donc idolâtrie, démonologie et magie… Mais ce n’était pas tout : désormais l’Eglise chrétienne voulait exister seule. Théodore allait donc l’imposer comme religion d’Etat au mépris des païens et des dissidents. Enfin, et là s’achevait le terrible bouleversement, l’Eglise avait son mot à dire dans les affaires temporelles. Et elle s’était déjà empressée de le prouver en obligeant l’empereur à s’incliner devant l’évêque (Ambroise de Milan ayant à deux reprises condamné les décisions de l’empereur, celui-ci dut à chaque fois s’incliner). Cette fois, tout était en place, l’Eglise trouvait dans l’Etat les armes dont elle avait besoin pour combattre hérétiques et sorciers. La magie désormais se changeait en sorcellerie, même si l’on parlait encore de « magiciens ». Tous ceux capables de maléfices ou d’enchantements, de provoquer des tempêtes ou de troubler les esprits par l’invocation des démons tombaient sous le coup de la loi et étaient passibles de toutes sortes de châtiments. Mais telle l’Hydre de Lerne, la sorcellerie n’était jamais décapitée, puisqu’on croyait la détruire et elle réapparaissait.
En Orient comme en Occident, la magie continuait donc de jouer un rôle important dans la vie quotidienne. Rome, qui avait dominé le monde était à son tour soumise en 409, lorsque la confirmation de l’Eglise s’officialisa. Il ne lui restait plus qu’à succomber de l’invasion des Barbares. Le 24 août 410, c’était chose faite. Doublement vaincue, par la pensée et par les armes, Rome entretenait dans sa chute toute une civilisation ; alors que l’Empire romain s’effondrait, l’Eglise seule échappait au naufrage, forte de son intolérante foi… Autant dire que l’agneau avait « dévoré » la louve.
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La magie maléfique n’opère pas partout ni n’importe quand. La nuit est son domaine. Dans l’Antiquité, le monde de la sorcellerie est un monde de femmes, comme le sont les divinités protectrices sous l’égide desquelles elles opèrent, et toutes les déesses lunaires : Artémis, Diane, Hécate et Séléné.
Or, si Artémis/Diane présidaient aux cérémonies magiques, ce n’était qu’indirectement. Déesses sauvages hantant bois et montagnes, la Diane chasseresse comme Artémis tuaient de leurs flèches bêtes et hommes. C’était aux flèches d’Artémis que l’on attribuait la mort subite.
Apparentée à Artémis, Hécate, en revanche, régnait dans le partage de la sorcellerie. Elle est la femme d’Aaétès, père de Médée et de Circé (selon la légende, car la tradition veut que Circé soit la tante de Médée), Hécate marquait de ses pouvoirs une lignée au dramatique destin et lui imprimait ses caractéristiques essentielles. Associée au monde des ombres, souveraine des âmes des morts, elle décidait de l’union ou de la séparation de l’âme et du corps, tandis qu’elle entretenait un mystérieux rapport avec la vie et la mort. Si elle avait sa place au foyer en tant que protectrice des mânes des ancêtres, elle se plaisait aussi dans les lugubres tombeaux et fréquentait les cimetières. Ombre se glissant parmi les ombres, elle apparaissait par les nuits claires, comme par les nuits sans lune, à moins encore qu’elle ne les éclairât de la lueur de chacune des torches qu’elle tenait à la main. Elle appréciait particulièrement les carrefours, raison pour laquelle la triple représentation lui était conférée, on la rencontrait entourée d’âmes et des chiens aux aboiements furieux dans lesquels il lui arrivait de se métamorphoser.
La gracieuse Séléné seule semblait un peu en marge dans ce monde sombre. Parcourant la nuit sur un char d’argent attelé de deux chevaux, toujours en quête de quelque nouvel amour, elle n’en était pas moins une autre personnification de la lune. L’amour, lui, expliquait bien des pratiques magiques.
La sorcellerie puisait donc là ses sources et la lune s’y faisait la complice discrète des pires entreprises. De tout cela la sorcières porte la marque. C’est au moment de la pleine lune, que Médée sort de sa demeure, alors, le grand silence de minuit elle porte çà et là ses pas errants, elle glisse sans bruit, tandis que tout se tait, jusqu’au moment où de terribles invocations déchirent le silence de la nuit environnante.
Rien de bien étonnant, la sorcière est une femme associée au mal. Médée elle-même, qui sait de quoi elle parle, nous en donne l’explication : « Si la nature nous fit, nous autres femmes, entièrement incapables du bien, pour le mal, il n’est pas d’artisan plus expert » (l’Odyssée, Homère). Médée, en effet est une femme avant-tout. Ses pouvoirs magiques n’ont pas d’autre but que de servir la femme. C’est par amour pour Jason qu’elle en use d’abord, et c’est grâce aux herbes enchantées qu’elle lui donne qu’il parvient à triompher de tous les obstacles auquel il est confronté lors de la conquête de la Toison d’Or.
Si la sorcière a un visage, et même une voix, elle a aussi ses lieux de prédilection. Liés à ses origines, ce sont ceux qu’elle hante à la recherche des ingrédients dont elle a besoin. D’Asie Mineure étaient venus les rites barbares, et ont petit à petit imprégné ce qui était alors le royaume des sorcières de l’Antiquité : la Thessalie. Des régions voisines, telle que Béotie, s’avéraient donc extrêmement propices aux artifices magiques, fournissant toutes sortes d’herbes cueillies le plus souvent sur les cimes élevées des montagnes où au bord des fleuves, et une multitude de poisons nés dans le contrées les plus brûlantes comme dans les plus glaciales. La Thessalie est longuement évoquée comme étant une terre recouverte d’herbes nuisibles et de pierres sensibles aux chants magiques des mystères funèbres, tandis qu’une foule d’objets capable de faire violence aux dieux se dresserait. Ainsi, Terre de Thessalie aux charmes multiples, où rien ne résiste à la magie amoureuse, où tout peut être modifié dans l’ordre du monde : le temps, le cours des fleuves, l’emplacement des montagnes comme la position de la terre, où les animaux sauvages sont réduits à l’impuissance, où que les astres eux-mêmes n’échappent pas au pouvoir des sorcières capables de faire descendre la lune sur la terre, où les morts ressuscitent.
Personnage complexe fait d’une multitude d’éléments disparates, la sorcière n’était qu’au fond que le reflet de la complexité humaine fascinée par le mal et le désir dans son infinie puissance, pour qui l’humain n’avait pas de secrets, trouvait dans la sorcière une implacable froideur qui assurait l’accomplissement de ses plus noirs desseins. Au-delà des faits et surtout des croyances, de la réalité même que l’on lui conférait et des lois qui, à défaut de prendre position dans ce domaine, se contentait de sanctionner ce qui portait atteinte à l’homme, la sorcière devenait objet d’étude.
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Si la condamnation de certaines pratiques magiques n’était pas nouvelle, et si les persécutions n’avaient pas attendues le christianisme, elles s’amplifièrent cependant à son approche. C’est à partir de là aussi que s’établit la confusion entre pratiques superstitieuses, divination sous toutes ses formes et magie glissant insensiblement vers la sorcellerie. Avec l’Empire romain, les lois concernant la magie se font de plus en plus fréquentes, oscillant entre une rigueur extrême et une certaine tolérance selon le sens accordé aux mots.
Soucieux d’enrayer des pratiques qui ne se contentaient pas de tromper mais pouvaient devenir dangereuses, August fit saisir et brûler tous les grimoires de magie que l’on put trouver, tandis que les magiciens étaient proscrits. Il s’était pourtant montré autrefois fort satisfait des prédilections qu’on lui avait faites, et cet incrédule apparent avait même commémoré l'événement en faisant frapper une monnaie où était gravé le signe de Capricorne, auquel il appartenait.
Bannis encore sous Tibère (empereur romain de 14 à 37), « quatre mille affranchis souillés de cette superstition » furent, aux dires de Tacite (historien et sénateur romain) « transportés en Sardaigne pour y réprimer le brigandage », et Suétone (érudit romain qui a vécu entre le Ier et le IIème siècle) rappelle « qu’il interdit les cérémonies étrangères, les rites égyptiens et juifs, en obligeant ceux qui étaient abonnés à ces superstitions de jeter au feu leurs vêtements religieux avec tout leur attirail ». Le culte d’Isis (Déesse égyptienne de la mort et des présages funestes) déjà attaqué par Agrippa (général et homme politique romain du 1er siècle avant J.-C.), en 21 av. J.-C. fut à nouveau concerné. Quant aux astrologues, il fut décidé de les expulser. Mais, ajoute Suétone « sur leurs instances et sur la promesse d’abandonner leur art il leur pardonna ». L’empereur, il est vrai, depuis que l’un d’eux lui avait prédit que sa femme accoucherait d’un garçon « promis à un destin exceptionnel ».
Exilés sous Claude (empereur romain de 41 à 54 ap. J-C.), les magiciens n’en demeurent pas moins présents à la cour impériale. Néron (empereur romain de 54 à 68 ap. J-C.) comme Tibère , condamnent, mais tous deux ne craignent pas d’y avoir recours. Peut-être à l’instar de Caton (politicien, écrivain et militaire romain) qui redoutait de voir les esclaves user des pratiques divinatoires pour se retourner contre leurs maîtres, craignaient-ils de se voir remis en question. Et quand on sait ce que furent leurs règnes, ils avaient, il est vrai, de bonnes raisons de se méfier.
Avec le temps, les choses ne s’étaient évidemment pas arrangées et les accusations de magie « dans son sens les plus noir » s’étendaient nécessairement à tous ceux qui, d’une quelconque manière suspects.
Les chrétiens n’avaient pas tardé à en faire les frais. En s’opposant au paganisme (religion des païens) et en se marginalisant, ils étaient devenus des victimes toutes trouvées. Responsables de toutes les catastrophes qui apparaissaient, comme autant de manifestations de la colère des dieux, les sorcières et sorciers étaient obligés de se cacher, tandis qu’ils étaient sans cesse suspectés des pires monstruosités, d’autant que le christianisme pris à la lettre semblait s’apparenter à l’anthropophagie (cannibalisme).
En attendant, les chrétiens disposaient d’une arme dont ne pourront se prévaloir par la suite l’immense majorité des accusés : à travers certains des leurs, ils pouvaient essayer de se faire entendre. Mais la polémique exacerbait la foi et attisait aussi un fanatisme qui bientôt permettrait à celui qui ne partageait pas les mêmes croyances de voir se retourner contre lui les accusations dont il s’était lui-même servi. Bientôt, païens et hérétiques en tous genres se verraient soupçonnés des mêmes crimes et la sorcellerie y puiserait une nouvelle force. Alors, de la hantise de toute déviance naîtrait de nouveaux martyrs.
Quant à Marc Aurèle s’il « priait avec ferveur tout ce qui se priait un peu partout », sauf le dieu des chrétiens, il ne dédaignait pas, en bonne logique, l’aide de puissances occultes et se faisait accompagner dans ses batailles par des devins et magiciens plus ou moins sorciers. Durant la guerre contre les Marcomans, (peuple germanique occidental) un providentiel orage éclata, tandis que la foudre dispersa les ennemis. La colonne aurélienne devait immortaliser ce « miracle »que les chrétiens, par la suite, s’empressèrent d’attribuer au Christ… Rien d’étonnant après tout dans cette surenchère superstitieuse : Tertullien (écrivain italien né entre 150 ap. J-C. et mort en 220) ne déplorait-il pas que l’on ait attribué à Jupiter une pluie, que, de leur côté, les chrétiens avaient demandés à Dieu ?
Si Caracalla (empereur romain de 211 à 217) prétendit dénoncer toutes les pratiques superstitieuses, elles ne lui étaient pas cependant étrangères. Même la nécromancie (art de ramener les morts à la vie) ne l’effrayait guère. Toujours est-il que, peut-être parce qu’il en connaissait les dangers, une législation extrêmement rigoureuse se chargea de mettre bon ordre à tout cela. L’étude de la magie fut interdite, les livres brûlés, leurs lecteurs au mieux bannis (et leurs biens confisqués), sinon condamnés à mort, avec tous ceux qui s’étaient adonnés à cet art. Fait révélateur, la peine de mort, sans distinction de rang, était le los de tous ceux qui avaient cherché à pénétrer le destin de l’empereur. La seule différence restait dans la manière de mourir : les superiores (en latin) étaient décapités, les autres jetés aux bêtes ou crucifiés. Toutefois, les bûchers existaient déjà pour les magiciens et, lorsque l’on renoncera à la croix devenue symbole de la rédemption, on conservera la peine de feu.
La magie seule demeurait, et, malgré tous les aléas de parcours qu’elle pouvait rencontrer, malgré les condamnations réitérés, et les accusations proférées par de nombreux empereurs et consuls soucieux de s’en débarrasser, les pratiques magiques resurgissaient tout le temps.
Un siècle après les belles dispositions de Caracalla, rien ne semblait résolu puisque, en 319, Constantin dut rappeler les lois anciennes vraisemblablement oubliées. S’il semblait cependant maintenir une distinction entre magie bénéfique et magie maléfique, il distinguait surtout entre magie licite et illicite. La magie se devait donc de rester sociale et publique, ce qui permettait de surveiller les rites réduits aux traditionnelles divinations, que l’on pouvait toujours, le cas échéant, censurer.
Enfin, si l’empereur se montrait favorable au christianisme, c’était aussi que le christianisme le servait puisque en rassemblant les hommes, il l’aidait à vaincre les antagonismes. Quant à savoir si la conversion de Constantin avait été motivée par des signes particuliers, ce qui est sûr c’est qu’il restait profondément marqué par des attitudes encore essentiellement « païennes » dont il lui était impossible de se défaire, parce qu’elles étaient trop bien ancrées dans les esprits.
Le retour au paganisme de Julien eut du moins le mérite de mettre un terme à la répression (mais il est vrai que les chrétiens en firent une nouvelle fois les frais), et la magie refleurit. Cependant, les rites nocturnes, qui consistaient à ouvrir le ventre d’une femme enceinte pour en arracher le fœtus et se livrer à un rite de nécromancie afin de connaitre le destin de l’empereur, étaient interdits, et restaient passibles de la peine de mort.
L’essentiel étant de rester du bon côté, on ne tarda pas à condamner la magie une fois de plus, et d’autant plus sévèrement qu’elle était du côté de ceux dont on avait quelque chose à redouter, et d’autant plus facilement que le sacrilège et le crime de lèse-majesté lui était associés dans un non moins révélateur glissement de sens. La persécution entreprise contre les païens prit une ampleur jamais vue, au point que les plus innocents finissaient d’eux-mêmes par se croire coupables. Les intellectuels furent évidemment les premières victimes et plusieurs philosophes trouvèrent la mort.
A ce rythme-là, les rangs des magiciens commencèrent à s’éclaircir. Les choses allaient mal pour eux, et tout aussi mal pour les païens. Ils allaient encore s’en apercevoir avec Théodose (empereur romain de 379 à 395). Rallié à l’Eglise, il méritait bien le titre qu’elle lui donna. C’est en « grand » qu’il fit les choses et imposa le christianisme. Mais en imposant le christianisme, il ne se contentait pas de renier le paganisme, il allait bien plus au-delà. En assimilant les anciens dieux aux démons, il se devait de pourchasser ceux qui en les adorant, devenaient de ce fait coupables de pratiques magiques. Par un de ses habiles raccourcis dont l’Eglise avait le secret pour résoudre ses problèmes, on assimilait donc idolâtrie, démonologie et magie… Mais ce n’était pas tout : désormais l’Eglise chrétienne voulait exister seule. Théodore allait donc l’imposer comme religion d’Etat au mépris des païens et des dissidents. Enfin, et là s’achevait le terrible bouleversement, l’Eglise avait son mot à dire dans les affaires temporelles. Et elle s’était déjà empressée de le prouver en obligeant l’empereur à s’incliner devant l’évêque (Ambroise de Milan ayant à deux reprises condamné les décisions de l’empereur, celui-ci dut à chaque fois s’incliner). Cette fois, tout était en place, l’Eglise trouvait dans l’Etat les armes dont elle avait besoin pour combattre hérétiques et sorciers. La magie désormais se changeait en sorcellerie, même si l’on parlait encore de « magiciens ». Tous ceux capables de maléfices ou d’enchantements, de provoquer des tempêtes ou de troubler les esprits par l’invocation des démons tombaient sous le coup de la loi et étaient passibles de toutes sortes de châtiments. Mais telle l’Hydre de Lerne, la sorcellerie n’était jamais décapitée, puisqu’on croyait la détruire et elle réapparaissait.
En Orient comme en Occident, la magie continuait donc de jouer un rôle important dans la vie quotidienne. Rome, qui avait dominé le monde était à son tour soumise en 409, lorsque la confirmation de l’Eglise s’officialisa. Il ne lui restait plus qu’à succomber de l’invasion des Barbares. Le 24 août 410, c’était chose faite. Doublement vaincue, par la pensée et par les armes, Rome entretenait dans sa chute toute une civilisation ; alors que l’Empire romain s’effondrait, l’Eglise seule échappait au naufrage, forte de son intolérante foi… Autant dire que l’agneau avait « dévoré » la louve.
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